Aujourd’hui, l’injonction au plaisir est constante. Dans l’inconscient collectif, la fréquence des rapports sexuels constitue un baromètre probant de la forme du couple. Pour autant, l’abstinence est-elle forcément synonyme d’un couple en mauvaise santé ? Les couples qui font moins souvent l’amour que d’autres, voire pas ou plus du tout, ont-ils une vie sentimentale moins satisfaisante ? 

Le sexe comme ciment du couple, une croyance persistante

Dans une société hypersexualisée où les diktats et l’injonction à la jouissance prédominent, la pression sur les couples est réelle. Alors que l’obsession autour de la fréquence des rapports sexuels prédomine, comment oser dire qu’il n’y a plus de sexualité dans son couple, que le dernier rapport remonte à plusieurs semaines, mois ou années ? La sexualité serait un baromètre permettant de déterminer la qualité et la réussite d’une histoire d’amour... L’abstinence au sein des couples est devenue l’un des motifs de consultation les plus fréquents. « J’ai des patients ou des couples qui ont pu venir me voir uniquement par rapport à cette pression de la normativité liée à la société », constate Céline Causse, psychiatre et sexologue, autrice de La sexualité féminine dans tous ses ébats.

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Pour Diane Deswarte, sexologue et fondatrice de Club Kamami, « le sexe n’est pas et ne devrait pas être le ciment du couple, ni le baromètre émotionnel ». « Selon les couples, les personnes qui le composent, et selon le moment de la vie, le sexe prend plus ou moins de place », rappelle-t-elle. Elsa a 20 ans quand elle rencontre Tim. Dix ans plus tard, ils sont toujours ensemble et parents d’une petite fille mais quelque chose a changé : leur vie au lit a drastiquement ralenti. « J’ai parfois l’impression d’être anormale quand j’entends des amis narrer leurs ébats et honnêtement, je serais incapable de dire à quand remonte notre dernière fois », témoigne la jeune femme. « Cette vie sexuelle moins riche nous convient à tous les deux, l’avenir de notre relation n’a jamais été remise en question à cause de cela », précise-t-elle. 

« L’abstinence conjugale reste un des tabous les plus forts dans le domaine de la sexualité », assure la sociologue Janine Mossuz-Lavau dans son enquête La Vie sexuelle en France. « Culturellement, on nous présente le sexe comme indispensable au bon fonctionnement d’un couple », abonde Diane Deswarte. C’est oublier qu’il y a encore peu, « la sexualité n’était pas considérée comme un gage de durabilité du couple », note Céline Causse. « La formation du couple résultait de pures considérations patrimoniales, politiques et religieuses, explique Belinda Cannone dans Le nouveau nom de l’amour (Ed. Stock). Ce n’est qu’à partir du dernier quart du XXe siècle que le désir charnel a fait son entrée parmi les exigences légitimes du couple. »

Investir l’intimité plutôt que la sexualité

« Le couple est un tout qui ne se résume absolument pas à son activité sexuelle », indique la sexologue Diane Deswarte. On peut ne pas avoir de vie sexuelle ou une vie sexuelle moindre pour de nombreuses raisons personnelles ou contextuelles. Louna*, 25 ans, est en couple depuis deux ans avec sa partenaire qui s’identifie sur le spectre asexuel. « On nous apprend que l’amour doit être exprimé sexuellement. Mais notre relation m’a montré à quel point il est possible de manifester l’amour de différentes manières », raconte-t-elle. Toutes deux ont appris à communiquer pour pouvoir s’épanouir ensemble et séparément. 

Et puis, il y a des moments où l’on n’a simplement pas envie, où l’énergie est ailleurs, où ce n’est pas la priorité. Cela peut être ponctuel ou prolongé. « Tout le monde peut ne pas avoir de vie sexuelle à un moment qui dure plus ou moins longtemps et c’est normal », rassure Diane Deswarte. « Il y a des couples qui sont très heureux sans aucune sexualité, si tant est que restent des rapports d’intimité et de tendresse », précise Céline Causse. Chez certains, « les câlins, la tendresse, le plaisir d’être ensemble », priment sur le besoin de sexe, comme l’explique Diane Deswarte. « Il faut que l’on apprenne à se détacher de l’image universelle du couple : passionnel, fusionnel, sexuel. Certains couples sont plus partenaires de vie que fous amoureux, et ça peut être une forme d’équilibre très saine », souligne-t-elle. 

« Notre couple fonctionne de la même façon que les autres, avec moins de sexe », confie Albane, 33 ans, qui a longtemps souffert de dyspareunies (douleurs lors des rapports sexuels, ndlr) à cause de son endométriose. « Je pense que dans un couple, la sexualité a autant de place que la non-sexualité. Si les deux partenaires ressentent le même désir, ils peuvent être totalement épanouis ». 

Un couple sans sexe peut-il tenir ?

Peut-on être heureux en couple sans relation sexuelle ? Le sexe n’est ni nécessaire ni suffisant à une vie amoureuse épanouie et heureuse. C’est précisément parce qu’il y a d’autres choses que le sexe dans le couple que le sexe peut s’absenter quelque temps, voire indéfiniment. « L’idée selon laquelle un couple qui ne fait pas l’amour est un couple qui ne s’aime pas a la vie dure », déplore Albane. « Partager des choses qui font du bien à notre couple, c’est ça qui fait que ça dure entre nous. Des câlins, des caresses... Le sexe est une option », estime-t-elle. L’envie et le partage sont deux éléments essentiels à la longévité d’un couple, selon Céline Causse. Lorsque l’activité sexuelle diminue ou disparaît, ce sont la connexion, l’intimité, les projets communs, l’épanouissement de chacun.e qui entretiennent l’amour. « La sexualité n’est pas de l’ordre du besoin. La vie est suffisamment riche et diverse pour se passer de sexualité et l’assumer sans honte ni culpabilité », insiste Céline Causse.

Les deux expertes l’affirment : l’absence de sexualité n’empêche pas le couple de fonctionner et d’être heureux. À condition de ne pas oublier, taire ou renoncer à son propre désir. « Ce qui fait souffrance dans le couple, c’est le décalage de désir », note Céline Causse. Lorsque les deux partenaires n’ont pas les mêmes envies, Diane Deswarte conseille de communiquer, et si ça ne suffit pas, de consulter un.e sexologue. « Le travail du ou de la sexologue dans ce cas, c’est de trouver l’équilibre, trouver des moyens pour travailler le désir du couple, la dynamique, la frustration et trouver les origines d’une baisse de désir si elle n’est pas habituelle. »

*Le prénom a été modifié
Merci à Diane Deswarte, sexologue et fondatrice de Club Kamami et Céline Causse, psychanalyste et sexologue