Elles ont décidé de ne plus être fécondes. Avec ou sans enfant, ces personnes ont choisi d'avoir recours à la stérilisation définitive.

Chaque année en France d'après des chiffres de l'Inserm datant de 2016, 8% des hommes et 4,5% des femmes se font stériliser. Souvent, cette opération intervient après un long cheminement psychologique personnel, et un parcours médical parfois encore plus complexe. 

Pourquoi le choix de la stérilisation ?

Il y a celles et ceux qui rêvent d'avoir des enfants et de devenir parent depuis leur plus tendre enfance. Il y a ceux qui le découvrent un peu par hasard ou lorsque ça leur tombe dessus. Mais il y en a d'autres qui savent, depuis toujours qu'ils ne seront jamais Papa ou Maman, mais Tonton, Tata, Marraine, ou Parrain.

Il ne s'agit pas d'un caprice, d'une envie subite, ou d'un effet de mode. "Ne pas être intéressé par les enfants quand on a 15 ans c'est une chose. Se rendre chez le médecin pour demander une stérilisation, c'en est une autre", assure le Docteur Anne Thoury, chirurgienne gynécologue.

Les motifs de celles et ceux qui font cette démarche sont multiples. Certains ont déjà un ou plusieurs enfants, mais veulent s'arrêter là. C'est le cas de Séverine (36 ans, 31 lors de sa stérilisation), qui a deux enfants, et a connu deux grossesses à risques. Elle a discuté avec son compagnon, et ils ont décidé tous deux de ne pas en avoir de troisième.

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Avoir des enfants ? Maureen (25 ans) a été tentée. "Il y a eu des moments où je me disais pourquoi pas, mais j'ai réalisé que c'était pour entrer dans un moule, une habitude qui n'est pas du tout pour moi en réalité. Éthiquement, philosophiquement et d'un point de vue environnemental je n'en ai pas du tout envie. Je ne peux pas faire un enfant pour faire plaisir à quelqu'un donc si mon partenaire veut me quitter je comprendrais, mais ma vie restera définie par mes choix".

Des questions de santé entrent aussi en jeu. Ce fut le cas pour Séverine, mais aussi pour Elisa (30 ans) qui a découvert qu’elle avait du cholestérol récemment. "Le médecin a souligné toutes les sources possibles, dont la pilule : j’ai entamé une grande réflexion sur un nouveau choix de ma contraception, et comme je suis sûre de ne pas vouloir d’enfant, la stérilisation fut la meilleure option", raconte-t-elle.

Yann (30 ans) non plus ne voulait pas d’enfant : "Je le sais depuis que je suis adolescent, je veux vivre pour moi, je ne voulais pas être responsable à vie de quelqu'un d'autre."

Pour Charlotte (25 ans), le motif est davantage écologique. "Je ne peux pas élever un enfant en lui interdisant d'acheter des vêtements neufs, de prendre l'avion, etc. pour limiter au mieux son impact sur la planète. Qui plus est, je ne veux pas léguer ce monde-là à mon enfant."

Lucille* a 22 ans et a été opérée au début du mois d'octobre. "Depuis que je suis toute petite je sais que je n'aurai pas d'enfant. Ce n'est pas pour moi c'est tout, j'ai d'autres projets. La première fois que j'ai abordé la question avec mon médecin généraliste, il m'a répondu que mon corps ne m'appartenait pas, mais appartenait à la société et que ce serait une mutilation. Cela m'a convaincue qu'il fallait que je le fasse."

Les raisons, ils doivent les exposer à un médecin. Elles sont toutes valables, seul leur choix compte. En théorie, oui. 

La stérilisation est un droit en France pour toute personne majeure

Pourquoi le chemin est-il souvent si long, et si difficile ? Car les Français ignorent pour beaucoup leurs droits en matière de stérilisation. Le problème principal est le manque d'informations claires sur le sujet.

Pourtant, il s'agit précisément de cela, d'un droit. Depuis 2001 en France, toute personne majeure peut être stérilisée si elle le désire.

Le droit à la stérilisation figure dans la loi de 2001 sur l'IVG et la contraception, visant à améliorer le dispositif légal des lois Veil et Neuwirth (sur l'IVG et la contraception).

"Entre le passage du délai légal de l'IVG à 12 semaines et l'accès à la contraception pour les mineures sans l'autorisation de leurs parents, la légalisation de la stérilisation s'est faite en catimini." explique le Dr Pierre Panel, chef de service au CHU de Versailles et pionnier de la stérilisation en France.

Le chapitre III de cette loi concerne "La stérilisation à visée contraceptive", et il est limpide.

La stérilisation est autorisée pour toute personne majeure, qui a "exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d'une information claire et complète sur ses conséquences". Son âge, son statut marital et le fait qu’elle ait ou non des enfants n'entre, en principe, aucunement en compte.

La procédure est simple. Une première consultation d’information doit avoir lieu avec un gynécologue ou un urologue. Ensuite, un délai de réflexion de quatre mois doit être respecté. Et à l’issue de celui-ci, une seconde consultation a lieu. Un consentement écrit pour la stérilisation est alors signé et une date pour l'opération est fixée. Le praticien peut refuser de pratiquer une stérilisation, dès le premier rendez-vous, mais il est obligé de réorienter son patient et sa patiente vers un autre praticien.

Une attestation d’un psychiatre peut être demandée pour s’assurer de l’état de santé mentale du patient (et vérifier que ce sont les bonnes raisons qui les poussent à devenir stérile). Dans les textes, cette consultation peut seulement être conseillée si la personne en ressent l’envie ou le besoin, dans le but d’éliminer des interrogations qui persistent.

Ce n'est pas obligatoire, mais certains médecins préfèrent le demander. C'est le cas du Docteur Panel " Je le demande pour protéger les équipes avec lesquelles j'opère. Certains me prennent pour un fou d'opérer des jeunes filles de 20 ans et ont peur d'éventuelles poursuites." 

Si l'on résume, le processus est simple : deux rendez-vous, un délai de réflexion, un consentement signé, et c'est tout.

Comment se passent les démarches pour être stérilisé ?

Cette opération vient mettre un point final à ce qui a été un véritable chemin de croix. Rares sont ceux qui ont obtenu immédiatement ce qu'ils voulaient auprès d'un médecin.

Nous avons peu de témoignages de démarches qui se sont déroulées sans encombre. C'est le cas de Charlotte : le médecin a tout de suite entendu ses arguments et a accepté la stérilisation définitive, après le délai obligatoire. Cette femme de 25 ans a eu accès à une liste de médecins répertoriés par les membres d’un groupe Facebook dédié à la stérilisation définitive comme ayant déjà pratiqué ce genre d’interventions.

"Les patientes se refilent sous le manteau le nom du médecin qui accepte de faire des stérilisations. J'ai l'impression qu'on parle d'IVG il y a 40 ans", déplore Anne Thoury.

Les patientes se refilent sous le manteau le nom du médecin qui accepte de faire des stérilisations

Ainsi, quand on n’a pas accès à cette liste (et encore, pour certains cas, les médecins présents ont soit changé de cabinet, soit pris leur retraite, soit se trouvent trop loin), il peut se passer des mois voire des années avant que l’intervention ait lieu.

Au mieux, comme Elisa, vous faites face au refus de celui ou celle qui suit votre santé sexuelle depuis des années, puis au refus de "cinq ou six autres gynécologues", avant de trouver celui qui acceptera. "J’ai assez vite compris que je devais donner le motif de ma venue dès la prise de rendez-vous pour ne pas perdre mon temps", lance-t-elle.

Le médecin qui refuse, bien qu’il n’existe pas de clause de conscience comme pour la pratique de l’avortement, est censé reconduire sa patiente vers un autre professionnel. C’est très rarement le cas.

Et au-delà du refus, leur réaction est culpabilisante et infantilisante pour les patients.

"Vous êtes trop jeune, et si un de vos enfants meurt, vous changerez d'avis quand vous serez avec la bonne personne, et si votre partenaire en veut, personne n'acceptera de vous opérer" sont autant d’arguments avancés par les médecins.

Séverine a connu ce refus de 2009 à 2016, après son deuxième accouchement : "Si je tombais enceinte une nouvelle fois, ma vie était plus qu’en danger". Son gynécologue est pourtant catégorique : "à votre âge c’est hors de question, je ne le ferai pas avant 40 ans".

"Je l’ai vécu comme une violence : je n’avais pas le droit de faire ce que je voulais de mon propre corps alors que la loi m’y autorisait ? J’ai laissé ça de côté un moment", raconte-t-elle, n’ayant pas l’énergie de revivre à chaque consultation avec un nouveau gynécologue un refus aussi virulent.

Séverine ne vit pas bien de gérer la charge mentale de la contraception, et à chaque retard de règles, un stress la mine. Au bout de quelques années, elle part de nouveau à la recherche d’un médecin qui ferait cette intervention. Elle en a appelé plusieurs, jusqu’à ce que l’un d’entre eux accepte. Sa réponse : "la ligature, à votre âge non, mais je peux vous poser des implants". Ces implants (différent de l'implant contraceptif mis en place dans le bras) ont représenté un temps l'une des méthodes pour se faire stériliser.

Quelles sont les méthodes de stérilisation définitive ?

La stérilisation féminine consiste à ligaturer les trompes par occlusion immédiate. La ligature des trompes immédiate a lieu le plus souvent par le biais d’une cœlioscopie (petites incisions de la paroi abdominale pour permettre au chirurgien d'accéder à l'intérieur de la cavité abdominale ou pelvienne).

Cela peut aussi être fait en même temps qu’un accouchement par césarienne. Et cela peut aussi se faire via des petites incisions au fond du vagin ou au-dessus du pubis. L'intervention dure entre 30 minutes et 1 heure et se fait en ambulatoire.

Jusqu’en 2017, l’occlusion progressive était aussi possible. Un implant était installé dans chaque trompe, jusqu’à une obstruction totale obtenue en trois mois. Les implants Essure ne sont désormais plus commercialisés en Europe.

Séverine fait partie de ces femmes dont la vie a basculé avec les implants Essure. "Les implants ont migré, et sont allés se mettre dans l’utérus avant de se désintégrer", raconte-t-elle. Ils ont d’abord enlevé la trompe gauche, puis quelques mois plus tard, l’utérus et la deuxième trompe. 

"Aujourd’hui, j’ai une intoxication aux métaux lourds : je suis en invalidité, je ne peux plus travailler depuis des années et suis sous morphine au quotidien", annonce-t-elle. Les symptômes sont nombreux : "J’ai de violents maux de ventre, comme une grande barre qui le traverse, j’ai mal aux jambes et aux bras, je ne peux pas rester dans une position trop longtemps sans avoir des douleurs supplémentaires, j’ai des difficultés pour m’exprimer ainsi que des troubles de la mémoire".

Pour les hommes, la stérilisation consiste en une vasectomie. Elle demande une simple anesthésie locale, et un peu de patience : elle est pleinement efficace au bout de trois mois. il s’agit de bloquer le passage des spermatozoïdes produits par les testicules dans la verge en coupant ou obturant les canaux déférents. Le sperme perd son pouvoir fécondant.

La stérilisation masculine est la seule méthode réversible. Avec la ligature des trompes, seuls de rares cas de fécondation in-vitro (FIV) sont possibles. Il est possible de reconnecter les canaux après une vasectomie. Toutefois, il se peut que la fécondité ne soit pas retrouvée car la "reperméabilisation" des canaux reste complexe. 

Cette méthode n’interfère pas sur la qualité de l’érection et de l’éjaculation. Ni d'ailleurs sur le plaisir et le désir sexuel, comme pour la stérilisation féminine. D'ailleurs, être stérilisé n'a aucune incidence sur l'équilibre hormonal et ainsi sur le cycle menstruel (sauf en cas d'hystérectomie, comme Séverine). 

Le tabou du non-désir d'enfant

Sur le papier c'est relativement simple, non invasif, et cela ne devrait pas ressembler au parcours du combattant décrit précédemment.

Mais le Docteur Panel explique : "Les patientes que je reçois pleurent de soulagement lorsque je leur dis que leur choix sera respecté. On est en 2020, ça ne s'est pas vraiment amélioré depuis 20 ans. Pour les femmes de plus de 40 ans un peu. Mais pour les nullipares volontaires, c'est encore pire."

Une situation incroyable et totalement paradoxale. La médecine s'améliore en permanence dans les techniques reproductives (PMA entre autres) pour aider les personnes et couples qui n'arrivent pas à avoir d'enfant à concevoir. Mais la stérilisation ne reçoit pas le même traitement. C'est ce que confirme le Docteur Thoury.

En France, en gynécologie, encore aujourd'hui, on remet constamment en question la parole des femmes

"On ne se pose pas la question sur la médecine de reproduction, avec les greffes d'utérus et tout le reste. Pourquoi ce serait différent avec la stérilisation ? Car en France, en gynécologie, encore aujourd'hui, on remet constamment en question la parole des femmes."

Car un enfant est "sacré", et ne pas en vouloir est contre-nature ?

Ne pas ou ne plus vouloir d'enfant est en général dans les familles "un sujet qui fâche". Maureen doit se faire opérer au début de l'année 2021. Elle ne préviendra ses proches que lorsque ce sera fait, et pas avant. Trop de disputes ont éclaté à la simple mention de son non-désir d'enfant.

Même ses amis ne sont pas forcément ouverts : "Ils ne s'imaginent pas eux, ne pas en avoir. Donc quand j'en parle, ça blesse quelque chose de profond en eux, comme une croyance, et ils tiquent."

La femme serait donc un "réceptacle sacré" destiné à enfanter ? C'est une vision millénaire contre laquelle veut se battre Maureen. "Au delà du fait que ça ne m'intéresse pas et que je n'en ai jamais voulu, philosophiquement, ça me dérange. Je pense que je suis moi-même le fruit d'un caprice de ma mère." explique la jeune femme.

Est ce que c'est plus simple pour un homme d'obtenir une vasectomie dans ce cas ? Pas forcément. Yann a 30 ans et déjà un enfant mais il a dû faire plusieurs heures de route pour enfin obtenir un "oui" d'un urologue après que ce dernier l'ait poussé dans ses retranchements durant leur rendez-vous.

"J'ai hâte que l'opération ait lieu, pour moi, pour mon couple. On m'a proposé plein d'alternatives de contraception, hormonales ou pas, qui auraient soit représenté un nouveau risque de grossesse non désirée, soit du sexe pas très rigolo. Alors que je sais depuis que je suis ado que je ne veux pas d'enfant, et que ma compagne est d'accord. Là, ça dure 30 minutes, et c'est réversible" . 

Yann a dû contacter 6 praticiens différents, avant que sa demande de vasectomie ne soit prise au sérieux. Et pendant ce long chemin, il est même devenu papa par accident. Outre les questions récurrentes sur sa "perte de virilité" ou son "incapacité à éjaculer" de la part de ses amis, Yann a aussi dû répondre à des questions très violentes de la part du corps médical. "On m'a demandé comment je ferais si ma fille mourait dans un accident. " raconte Yann.

Une personne ne pourrait être entière que si elle a une descendance ? La nécessité d'avoir un enfant prendrait forcément l'ascendant sur les désirs individuels ou même le deuil ?

La société française nataliste

C'était un tabou il y a 20 ans, et ça l'est encore aujourd'hui. Et l'origine de ce tabou est claire pour le Dr Panel : la société française est fondamentalement nataliste. Elle n'est pas prête à entendre qu'une femme ou un homme n'ait pas envie d'avoir un enfant ou souhaite ne plus en avoir.

Le doute face au désir de stérilisation est permanent, car cette opération "vient heurter un schéma de la sacro-sainte famille française de 4 ou 5 personnes." A 0 ou 1 enfant on vous demande "quand-est ce que vous faites le prochain?" Après le 3e on vous dit "tu vas t'arrêter peut-être maintenant." Le cadre est rigide.

Et ce natalisme se manifeste dans l'incrédulité face à celles et ceux qui choisissent d'aller à contre-courant. Le fameux "tu changeras d'avis quand tu auras trouvé le bon" servi à chaque repas de famille pour une majorité de Français qui désirent être stérilisés.

"Une majorité de médecins part du principe qu'elles (ou ils) vont le regretter, changer d'avis en vieillissant, en divorçant. Mais quand vous en êtes à vouloir cette opération et à vous refiler le tuyau du 'bon médecin' comme si c'était le graal, c'est que c'est un blocage de société." analyse le Docteur Thoury.

Celles et ceux qui s'éloignent volontairement de ce schéma, et qui plus est lorsqu'ils sont très jeunes, doivent affronter ce mur de la "normalité". Cette pression de la reproduction au sens propre mais aussi au sens figuré. L'injonction à se reproduire biologiquement mais aussi à copier un schéma familial figé.

Après l'opération, la réaction est toujours la même pour les patients qui ont été stérilisés : l'apaisement. Lucille ne ressent aucun regret, aucun doute, mais simplement un profond soulagement depuis sa stérilisation "Je me sens protégée maintenant, j'ai mis mon futur en sécurité. On ne sait pas comment vont évoluer les droits des femmes dans le contexte actuel, l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) par exemple. Je me sens beaucoup mieux, simplement parce que je me suis approprié mon corps."

Séverine ressent ce même soulagement : "Être libérée de cette inquiétude, de ce risque de tomber enceinte a tout changé. Avec un bonus : je n'ai plus de règles depuis". Cette femme a bien un regret. "Si c'était à refaire, je le referai sans hésitation, mais pas avec la même méthode : j'insisterai auprès de mon médecin pour avoir recours à la ligature des trompes", souligne-t-elle, affirmant que son souhait réfléchi d'avoir deux enfants et pas un de plus est resté intact depuis la décision de devenir stérile. 

Un désir si profond n'est pas un caprice, un effet de mode, ni une envie passagère. C'est tout le contraire. Et c'est précisément pour cela que les patients doivent pouvoir s'informer auprès des professionnels de santé de manière plus précise sur leurs droits et leurs démarches.

La stérilisation est définitive, mais avoir un enfant aussi.

 *Le prénom a été changé