Devenir mère est un bouleversement total. Après la naissance d'un enfant, la vie n'est plus jamais la même. Mais pourtant, on ne parle jamais ou presque du post-partum, cette période qui suit l'accouchement et qui peut durer pour certaine, des années de souffrance et de silence. Illana Weizman, auteure de Ceci est notre post-partum veut remettre au coeur du débat ce sujet sensible. 

Les difficultés physiques du post-partum

Illana Weizman a eu un petit garçon il y a un peu plus de deux ans. Elle se souvient de cette période post-accouchement comme d'un "immense tunnel" qui a commencé comme pour beaucoup de femmes, par des symptômes physiques douloureux et délicats. 

"Les sages-femmes m'avaient dit, 'vous allez voir c'est un peu comme des grosses règles', mais pas du tout. J'ai des souvenirs où je suis assise sur les toilettes et où le sang s'écoule à flot pendant une minute entière. Sauf que dans nos cultures, on ne représente jamais le corps de la femme post-partum. Ce corps qui fuit du lait, du sang et de l'urine. " 

Fuites urinaires, hémorroïdes, montées de lait, ventre gonflé, cicatrices, problèmes de périnée, mais aussi pertes de sang plus ou moins abondantes, chaque femme qui accouche connaît une ou plusieurs manifestations physiques du post-partum. Et souvent, elle les découvre à la maternité et au retour à la maison. Ces conséquences physiques de l'accouchement sont tues, gardées secrètes, et minimisées "pour ne pas effrayer les futures mères, ou parce que cela devrait être de l'ordre de la dignité".

Pourtant elles peuvent avoir un impact sur le quotidien pendant toute la vie, sur l'estime de soi mais aussi sur la santé. 

Les difficultés psychologiques du post-partum 

Mais ce n'est rien comparé au tabou qui enrobe les difficultés psychologiques du post-partum

"J'attendais d'être seule, et je pouvais pleurer pendant 30 minutes sous la douche, je ne voyais pas comment j'allais m'en sortir, réussir à assumer ce rôle-là... Mais comme personne n'en parle, chaque femme reste isolée dans sa souffrance et se dit que le problème vient d'elle, et du coup j'avais l'impression d'être une mauvaise mère", confie Illana Weizman.

Car outre la fatigue physique incontournable du quotidien avec un nourrisson, il y a le chamboulement émotionnel. La connexion avec l'enfant ne se fait pas instantanément d'une part. Et comme elle l'explique, les femmes ne sont pas génétiquement destinées à savoir s'occuper d'un enfant, ni à la résilience absolue et à s'oublier elle-même derrière ce nouvel être-vivant.

Illana Weizman raconte ainsi avoir vécu 8 mois très difficiles avant de finalement tomber dans la dépression et de faire une thérapie pour analyser son mal-être. Des mois de tristesse, de solitude et de culpabilité terribles. Autour d'elle, personne ne lui avait parlé du post-partum et des bouleversements : ni sa mère, ni ses amies, ni ses cousines, la laissant seule dans sa souffrance. 

Le tabou de la société sur le post-partum

Si le post-partum et ses difficultés sont aussi taboues, c'est qu'elles ont trait à l'intime d'une part et à des problèmes physiques qui peuvent paraître comme embarrassants à évoquer entre amis, en famille, ou même avec un professionnel de santé.

Mais ce silence provient aussi du fait que ces difficultés viennent ébranler des certitudes bien ancrées dans l'imaginaire commun sur la Mère avec un grand M. Ce rôle auquel toute femme est supposée vouloir aspirer et qu'elle accomplirait forcément avec bonheur, et rien d'autre. 

"On ne nous laisse pas la possibilité d'être autre chose qu'une bonne mère et une mère heureuse. C'est ça, mais ce n'est pas que ça. Il y a aussi des doutes, des angoisses, des incertitudes, des regrets de la vie d'avant", explique Illana Weizman. 

La conséquence de ce tabou sociétal est claire : en France, 1 mère sur 5 fait une dépression post-partum dans les mois qui suivent son accouchement. Plus que le baby blues qui résulte parfois de la chute d'hormones après l'accouchement, il s'agit d'un problème qui peut marquer à vie non seulement une femme mais aussi son couple et sa relation à son enfant.

Montrer la réalité du post-partum

L'auteure de Ceci est notre post-partum et militante féministe a lancé le hashtag #monpostpartum début 2020 en postant une photo d'elle même au lendemain de son accouchement. Elle voulait par ce biais inviter les femmes à s'exprimer sur leur post-partum, sur leurs difficultés et les aider à briser ce silence. Elle a reçu des milliers de témoignages poignants et a donc décidé d'enquêter plus longuement sur le sujet pour en tirer un livre. 

Pour elle, les solutions existent. D'un point de vue individuel, il faut parler, dire ce qui va, et ce qui ne va pas. "Peut-être qu'en postant une photo, un témoignage où on explique que tout n'est pas rose, où on dit les choses telles qu'elles sont, on va ouvrir les yeux de jeunes mères ou futures mères et leur faciliter cette transition." 

Dans cette même logique les célébrités ont aussi un rôle essentiel à jouer. "Moi sans la photo d'Ashley Graham après la censure de cette pub pour des produits hygiéniques post-accouchement, je ne sais pas si j'aurais osé le faire." 

Et de fait, des stars comme Ashley Graham, Katy Perry, Rachel McAdams, Katherine Heigl ou encore Chrissy Teigen n'hésitent plus à montrer les culottes-filet, les tire-laits, les cernes, les vergetures. Ni à dire la fatigue, le mal-être, les doutes.  

Accompagner les femmes après l'accouchement

Mais il y a également un pan plus politique indispensable à aborder afin de mettre fin à ce tabou. En France, après un accouchement, une femme a quelques rendez-vous de suite de couche avec une sage-femme dans les jours qui suivent le retour à la maison, une rééducation du périnée si elle le souhaite, et c'est tout.

Pour Illana Weizman, il faut une prise en charge beaucoup plus régulière et beaucoup plus longue. Pour les femmes qui n'en ressentent pas le besoin ni l'envie, tant mieux. Mais pour celles qui sont en difficulté, que cela soit pour gérer le quotidien avec un bébé ou d'un point de vue psychologique plus profond, il faut un suivi réel et un accompagnement gratuits. Car ce que traversent actuellement en France de nombreuses mères abandonnées par le système peut, d'après l'auteure, s'apparenter à de la maltraitance. 

"Cela ne peut pas, ou ne peut plus, être : il y a la grossesse, l'accouchement, on pose le bébé sur le ventre de sa mère et clap de fin." 

S'occuper d'un bébé est un apprentissage pour lequel certaines mères ont besoin de conseil et de suivi. Appréhender ce nouveau rôle de mère et réussir à le connecter avec sa propre personnalité (qui ne s'efface pas après l'accouchement) est parfois douloureux. Aux Pays-Bas par exemple, une kraamzorg (sage-femme) accompagne les jeunes parents à temps plein pendant plus d'une semaine lors de leur retour à la maison pour les aider à s'occuper du bébé, de la maison et à aborder leur vie de parents. En France le système de santé prévoit de manière optionnelle 2 séances post-natales remboursées par la sécurité sociale, et si besoin des visites dans une PMI (Protection Maternelle Infantile). 

Cela nécessite donc de mobiliser des moyens financiers et humains. Cela nécessite aussi que les pères (ou seconds conjoints) aient la possibilité de prendre une place égalitaire, notamment grâce à un congé paternité plus long et obligatoire, et à une égalité salariale décisive. 

Le tabou du post-partum ne se déconstruira pas en un jour, ni même en un an. Mais c'est indispensable pour que les femmes puissent aborder plus sereinement leur vie de mère.