C’est un monde de fantasmes et d’excitation. Vraiment ? Le porno ne serait-il pas excitant que pour une certaine partie de la population plutôt ? Un monde normé, avec un regard centré davantage sur le plaisir sexuel masculin, sur des corps féminins minces et des corps d’hommes musclés, le tout ponctué d'une vision hétéronormée de la sexualité ?

Bien que ce soit caricatural, oui, peut-être bien que c’est ce que nous montre le porno mainstream le plus souvent. C’est pour cela qu’il y a du porno de niche aussi, dont un mouvement grandissant depuis plusieurs années : le porno éthique.

En réalité, cette forme de porno a bien des noms. Il a longtemps été appelé porno féministe, ou encore porno alternatif. Si bien que sa définition n’est pas encore bien arrêtée. On peut cependant dire cela : éthique, il l’est par la manière dont il est produit, mais nous y reviendrons plus tard. Il porte ce qualificatif également pour ce qu’il montre à l’écran : une diversité. Le porno éthique représente ainsi la transmission de jolies valeurs aux autres, dans la bienveillance et le respect. Explications.

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Être inclusif, fer de lance du porno éthique

« Le porno a été un outil politique dans les années 1970 pour porter les idées post 1968, et ainsi la révolution sexuelle. Pendant longtemps ça n’a plus été le cas, ça a été juste commercial, et j’ai le sentiment que c’est redevenu un lieu de débat social et politique », explique Rico Simmons, acteur porno. Il a récemment performé dans des productions d’Olympe de G, réalisatrice et pornographe féministe française et autrice de Jouir est un sport de combat.

Comment le porno éthique porte-t-il de nouveau ce blason du porno engagé ? Déjà, en montrant une diversité des corps. Des corps de couleurs, autre que blanche, mais aussi des corps avec une morphologie différente. « On sort bel et bien des standards qui ont été mis en place dans les années 1990 à 2010 », assure Rico Simmons.

Il ajoute : « On est plus proche d’une sexualité du quotidien, car on est moins dans le superlatif esthétique : des filles avec des corps parfaits, des corps avec des muscles de partout et des sexes (entendez pénis, ndlr) énormes ».

Ainsi, on montre des poils, parfois, parce qu’une femme n’est pas toujours épilée à la perfection. Voire pas épilée tout court. On montre des bourrelets et de la peau d’orange, car la taille 34 n’est pas universelle, et on montre des imperfections de tous genres, comme des vergetures et des cicatrices par exemple.

Misungui se permet cependant de mettre en garde. Elle est modèle, performeuse, actrice porno, et a dédié son mémoire à la pornographie et au féminisme après un master en étude de genre. Plus prêt du réel ne veut pas dire casser l'aspect fictionnel du porno. 

« Il ne faut pas oublier que le porno n’est pas non plus un documentaire, prévient-elle. On propose de la diversité, et c’est bien, mais attention au réalisme. C’est de la fiction, on n’a pas forcément envie qu’il y ait des poils à chaque fois, ou on n’a pas forcément envie que ça se passe mal ou de voir les boulettes comme dans la vraie vie. Il y a une forme d’idéalisation, de caricature, il faut que ça reste fantasmagorique ».

Lele O, performeuse porno, appuie son propos : « cette réalité est essentielle, mais elle n'est pas automatique. Mon mec a du bide mais j'aime regarder du porno avec des hommes super musclés. Il ne faut pas penser qu'on va tomber dans l'excès inverse ».

Ainsi, c’est inclusif, parce que tout le monde peut s’y retrouver. Nul complexe à avoir, je peux aussi être excitant(e) et répondre à toutes mes envies.

Aussi, dans le porno éthique, on ose montrer des problèmes ou des gênes liés à la sexualité. Rico Simmons a par exemple abordé la question de l’accompagnement sexuel pour les personnes handicapées dans l’un des derniers films d’Anoushka, également réalisatrice féministe de porno.

Olympe de G, qui s’est aussi intéressée à ce sujet, souligne aussi l’importance d’inclure une diversité des orientations sexuelles aussi, mais également de produire du porno pour tous les genres. C’est pourquoi elle a travaillé avec une personne transgenre pour une production qui s’adresse à ce public spécifique.

Mais surtout, on se détache d’une vision masculino-centrée. On ne dit pas que le porno éthique est en réalité du porno pour les femmes. Les fantasmes et les désirs n’ont pas de genre. Mais, en se rapprochant d’une sexualité plus réaliste, on s’ouvre bien davantage au plaisir sexuel féminin.

Le porno éthique, celui qui représente toute la et les sexualité(s)

Non pas que les femmes ne peuvent pas trouver leur bonheur dans le porno mainstream. Mais disons que le porno éthique se détache du male gaze, ce regard masculin sur la narration, les corps et les fantasmes, pour aborder avec subtilité la diversité des plaisirs et des sexualités.

Cela est possible aussi parce que dans le porno éthique, il y a beaucoup plus de femmes réalisatrices que dans le porno mainstream.

Olympe de G décrit son travail dans ce sens : « J’appelle mon travail clitocentré (pour donc dire à l’inverse de phallocentré). Je remets le clitoris au cœur de l’acte sexuel, ça me semble important, parce qu’on a toutes eu un partenaire qui ne savait pas ce qu’était le clito ». D’ailleurs, dans Une dernière fois, son film le plus récent, il n’y a pas une seule scène où le clitoris n’est pas en jeu, et c’est assez rare pour le noter, il n’y a pas de fellation. « Un autre acte sexuel que je trouve important de filmer, c’est tout ce qui est acte sexuel sans pénétration », ajoute Olympe de G, qui rappelle que la majorité des femmes jouissent par stimulation externe.

Se concentrer sur le plaisir féminin, c’est aussi se détacher de l’idée que le sexe inclut une pénétration. De nombreuses voix s’élèvent, comme celle de Maïa Mazaurette ou de Martin Page pour se poser cette question : pénétration et plaisir féminin font-ils bon ménage ? Spoiler alert, pas toujours.

C’est ainsi naturellement qu’Olympe de G a voulu montrer d’autres choses. « Dans les films porno, dès qu’on voit un sextoy, c’est forcément un godemichet, parfois à taille démesurée. Dernièrement, les stimulateurs clitoridiens ont marqué une révolution dans les sextoys, pour le plaisir de la femme. C’est donc ce que l’actrice utilise dans le film (Une dernière fois, ndlr) ».

Attention, il ne s’agit pas de jeter la pierre au porno mainstream. Pour elle, le porno, c’est balancer de la bienveillance, de l’amour de l’être et de l’amour de l’art. Elle note : « Ça manque dans le porno mainstream, mais aussi dans la vie en général. La société est un tout, et si le porno mainstream fonctionne comme ça c’est parce que la société aussi. Il y a un manque d’éthique dans la sexualité en général : le problème réside dans l’éducation des gens, dans les valeurs qu’on transmet ».

Cette nouvelle vague de réalisateurs et réalisatrices du porno alternatif se posent cette question : « On se demande un peu ce que nous on fait et on ne voit pas trop », suggère Olympe de G.

Outre un accent mis sur le clitoris, elle a aussi inclus dans plusieurs épisodes de son podcast le humping, qui est le fait de se frotter contre l’oreiller. C’est souvent de cette manière qu’on découvre la sexualité, c’est aussi une manière de se faire plaisir en solitaire. Mais le dry humping, c’est aussi une manière de faire l’amour à deux, par les frottements, habillés.

Attendez, son podcast ? Olympe de G n’est pas seulement réalisatrice de films, elle produit également ce qu’on appelle du porno sonore. Elle a d’abord lancé Voxx, qui s’intéresse davantage à la sexualité féminine, puis Coxxx, qu’Olympe de G décrit comme un podcast « pour phallus audiophiles ».  

« Le fait de priver les gens d’images, ça force à se créer des images mentales : on n’est pas en train de consommer passivement les fantasmes des autres. On est beaucoup plus libre dans sa façon de consommer, on met juste des petits écouteurs, le corps est beaucoup plus libre que quand il y a un écran », explique Olympe de G.  

Et puis, il y a une connexion plus intime. Les podcasts sont écrits pour être chuchotés à l’oreille des gens.

Olympe de G va même plus loin. Elle travaille avec précision le vocabulaire utilisé dans le porno sonore. « L’audio est inclusif par nature puisqu’il ne montre rien. Mais en plus, on prête attention à ne jamais de détails sur la corpulence, on parle de sexe et non pas de vulve et pénis, de poitrine et non pas de seins ».

Le porno éthique, c’est donc aussi un retour vers une diversité des supports pour consommer des contenus érotiques et pornographiques. Un retour, parce que le rappelle Misungui, il y a eu une époque, entre les années 1980 et 2000, « où il y a eu beaucoup de littérature, de bd, donc de proposition diverses et variées en termes d’érotisme. Avant Internet il y avait des cassettes VHS, des propositions radiophoniques, le Minitel. Et à un moment il y a un appauvrissement de la proposition ».

Pour elle, « Internet a un peu tout absorbé avant que les gens en aient marre de pénis dans le vagin, pilonnage intensif, du coup ça se redéveloppe et désormais avec les nouveaux moyens, ça se diffuse beaucoup plus facilement ».

En clair, le porno est aussi le reflet des fantasmes de ceux qui le regardent. En montrant autre chose, le porno éthique ouvre les horizons, et il réussit à se faire une place, parce qu’une partie de la population a besoin de voir autre chose.

Une éthique pendant la production du porno

Elle se réjouit de cette nouvelle diversité, mais estime qu'éthique, ce n'est pas vraiment le bon mot pour parler du contenu en soi, car l'éthique d'une pratique sexuelle est très subjective.

Pour Misungui, l’éthique repose dans les conditions de travail. « Ce n’est pas forcément par rapport à son contenu mais plus par rapport à la manière dont il a été produit : est-ce que les acteurs ont été bien traités, bien payés ? ».

Ce qui fait la qualité du porno éthique, c’est donc aussi que son contenu soit payant (soit on paye au film, soit via des abonnements). « Si on veut que les conditions de travail de l’ensemble de l’équipe d’un film porno soit bien respectées, il faut payer », explique Misungui. Elle détaille : « Si tu ne payes pas ton porno, il n’y a pas d’argent pour le fabriquer et s’il n’y a pas d’argent pour le fabriquer, il y a des gens qui sont maltraités à un endroit ou un autre de la chaine, et souvent ce sont plutôt les actrices qui trinquent ».

C’est ce pourquoi des personnes comme Lele O enfile parfois une nouvelle casquette : celle de coordinatrice d’intimité. Ce métier a fait son apparition sur les plateaux de tournage ces dernières années, porté par le mouvement #MeToo, hors porno.

Il est bien particulier dans le cadre de productions érotiques et pornographiques. Pour Lele O, ce fut une première sur un tournage avec Olympe de G. Son rôle ? « La coordinatrice d’intimité est là pour gérer avec le réal et le producteur, pour chorégraphier ce qu’il va se passer comme scène intime, raconte-t-elle. Je dois être au courant de tout ce qui est demandé aux acteurs, et je leur transmets ensuite, je vois ce qu’ils sont d’accord de faire, en discutant séparément puis avec tous les partenaires. Ensuite, je fais un retour avec le ou la real sur ce qui est ok ou pas. Pour que le jour J il n’y ait pas de surprises ».

En effet, il n’est pas rare dans le porno que les acteurs et actrices découvrent le jour J ce qu’ils doivent faire, ou soit drivé.e.s en direct, sans savoir à quoi s’attendre du tout, et sans possibilité de discuter de leur consentement

« Le deuxième temps c’est en live, pour m’assurer que tout aille bien, il se peut que l’un des acteurs ne se sentent pas bien, ils ont le droit, le devoir même de dire au dernier moment : ‘non je ne veux pas’. Et enfin, je dois repérer quand un truc cloche », détaille Lele O.  

Payer pour regarder du porno n'est bien sûr pas nouveau, puisque c'est le modèle économique de la maison Dorcel par exemple. Mais payer pour regarder du porno éthique, c'est aller chercher un ensemble de valeurs, quelque chose de différent, en expérimentant une nouvelle façon d'explorer son plaisir sexuel, tout en s'assurant du bien-être de toux ceux qui ont travaillé pour.  Une révolution dans l'industrie de la pornographie.