Longtemps considérée comme un sujet tabou, la masturbation féminine jouit désormais d’une libération de la parole plus que nécessaire. Si nombre de femmes peuvent vivre et s’exprimer librement sur cette pratique, d’autres ne s’en emparent pas. 

Le plaisir solitaire, un non-désir difficile à assumer pour certaines femmes

La masturbation a longtemps été perçue comme sale, honteuse, anormale. Mais petit à petit, le tabou autour de cette pratique semble se lever, et on ne peut que s’en réjouir. Se masturber permet aux femmes de mieux connaître leurs corps et de prendre en main leur plaisir. S’affranchir des tabous autour de la masturbation féminine ne peut qu’être salué. Seulement, que faire quand on ne ressent pas le besoin de se caresser ? C’est le cas de Stéphanie, 32 ans. "En entendant bon nombre de femmes en parler, j’ai voulu essayer. Mais, ça ne m’a rien fait. Ni excitation à l’idée de le faire, ni plaisir à le faire", raconte-t-elle.

Vidéo du jour :

Comme elle, Alicia 31 ans, ne trouve pas grande satisfaction dans cette pratique. "J’ai tout essayé, avec et sans sextoys, mais je ne ressens rien, et surtout, je n’en ressens pas le besoin", affirme-t-elle. Un décalage difficile à assumer face aux nombreux discours qui vantent les bienfaits de la masturbation féminine. "On m’a dit que j’étais frigide, que je ne savais sûrement pas m’y prendre… La plupart du temps, on me prend pour une personne ‘arriérée’ ou coincée", regrette Stéphanie. Pour Guillemette Stevens, conseillère conjugale et sexologue, la masturbation n’est pas un exercice obligatoire : "C’est une pratique de plaisir et de découverte de soi, or pour certaines personnes, cela ne procure pas grand-chose, parce qu’elles préfèrent avant tout l'interaction avec un.e partenaire, ou parce qu’elles n’arrivent pas à mobiliser leur imaginaire érotique en solitaire."

Ne pas se masturber n’a rien de problématique. "Ce qui compte, c’est le ressenti de la personne : est-ce que sa sexualité génère de la souffrance en elle ? Tant que la personne est satisfaite, tout va bien", précise la sexologue. Il peut toutefois être intéressant de questionner les mythes sur lesquels nous avons construit notre sexualité. Et les siècles de diabolisation et d’interdiction de l’onanisme chez les femmes. "L’image déplorable de la masturbation féminine a lourdement marqué notre culture contemporaine, fortement influencée par les théories freudiennes. Dans ce contexte, je chercherais tout de même à creuser la question : que ressentent-elles à l'idée de la masturbation ? Quel rapport entretiennent-elles avec leur vulve, quelle familiarité ? Dégoût, rejet, indifférence ? Quelle éducation ont-elles reçue autour de cette pratique ?", détaille Guillemette Stevens.

Ne pas se masturber et s’épanouir dans l’échange des rapports

Anaïs, 27 ans, en couple depuis 5 ans, fait partie de celles qui trouve leur épanouissement sexuel dans une relation à l’autre.

"Mon plaisir est toute une personne, une odeur, une voix, des sentiments. Je ne suis pas vraiment intéressée par le plaisir sans l’autre. Non pas que je me l’interdise, loin de là, mais je ne retrouve pas les mêmes sensations qu’à deux", souligne la jeune femme. "L’épanouissement sexuel dépend de tant de choses, qu’on ne peut le réduire à une seule pratique", soutient Guillemette Stevens. "Je prends beaucoup de plaisir lors de la masturbation réciproque alors que seule, je me lasse très vite. C’est la même chose avec les sextoys. Seule, je m’ennuie à mourir ! Et ce n’est pas faute d’en avoir essayé plusieurs : œuf vibrant, stimulateur clitoridien, vibro… A deux, je trouve cela plus fun", confie Stéphanie.

La masturbation permet d’apprivoiser son plaisir, d’apprendre à se familiariser avec son corps. "Certaines femmes ne découvrent l’orgasme que très tardivement, grâce à un.e partenaire expérimenté.e. Donc, dans une certaine mesure, ne pas connaître les mécanismes de son plaisir, c’est potentiellement le déléguer à ses partenaires. C’est en quelque sorte prendre le risque de sous-traiter son orgasme", prévient la sexologue. En effet, seulement 20,3% de femmes atteignent systématiquement l’orgasme lors d’un rapport sexuel, contre 48,6% des hommes, selon une étude menée en 2021 par la marque de sextoys We-Vibe. Toutefois, les femmes engagées dans une relation de couple disent atteindre l’orgasme jusqu’à 86 % du temps, contre 39 % pour celles qui privilégient des relations occasionnelles, d’après un sondage Ifop sur le fossé orgasmique datant de 2019. 

Si la masturbation se révèle un précieux outil pour connaître ce qui nous plaît et nous fait du bien, la découverte de son corps se fait parfois avec un.e partenaire. "J’aime les rapports sexuels avec mon partenaire et je suis à l’aise avec mon corps. On n’est pas obligée de tout savoir pour prendre du plaisir", considère Anaïs. Lorsqu’on fait l’amour, on apprend à connaître son ou sa partenaire, on est dans l’échange, on explore nos corps. Nos expériences sexuelles alimentent notre connaissance. "Le rapport sexuel est fait de découvertes, d’échanges, de communication, et il est aussi très agréable d’apprendre ensemble et d’explorer ensemble les sexualités", confirme Guillemette Stevens. 

La masturbation féminine, une liberté et pas une injonction

La masturbation ne doit pas être une obligation ou une énième injonction sexuelle. Il n’y a pas de règles en matière de sexualité ni de mode d’emploi. Et s’il est plus qu’important de normaliser la masturbation, être libre de ne pas en éprouver le besoin ou l’envie l’est tout autant. "Ça me gêne de dire que je n’apprécie pas la masturbation", avoue Stéphanie. "Je trouve ça paradoxal que l’on parle de liberté sexuelle si l’on s’offusque qu’une femme ne se masturbe pas", poursuit-elle. La masturbation est souvent présentée comme la "voie royale" pour s’initier au plaisir, ce qui peut être culpabilisant pour celles qui restent insensibles à l’auto-érotisme. 

"C’est un peu une norme de plus dans un sens", estime Alicia, qui craint elle aussi que l’on remplace une injonction par une autre. Ces dernières années, la masturbation féminine et notamment le clitoris sont passés de tabou à symboles de la lutte féministe. On encourage les femmes à connaître leur corps, leur vulve, leurs zones érogènes. Pour autant, faut-il forcément se masturber et se connaître sur le bout des doigts pour prendre du plaisir ? "La libération sexuelle ne doit pas être une injonction à jouir, écrit Laura Berlingot, gynécologue-obstétricienne, dans son ouvrage Une sexualité à soi. La libération sexuelle doit d’ailleurs sortir de la question prédominante dans le débat actuel qui est celle du plaisir féminin." Ce qui libère vraiment les femmes, c’est de faire ce qu’elles veulent, sans subir de jugement. Sans oublier que la vie sexuelle est fluctuante et mouvante. Il y a des moments où l’on n’a simplement pas envie de se masturber, où l’énergie est ailleurs. Cela peut être ponctuel comme prolongé.

"Aujourd’hui nous sommes inondé.e.s d’injonctions sexuelles, de modes d’emploi, de modes à suivre pour être open", déplore Guillemette Stevens. "Il est important de pouvoir vivre sa sexualité selon ses désirs et non-désirs. Que toutes les sexualités puissent s'exprimer est capital, pour ne pas imposer une norme, pour que chacun.e se sente expert.e de sa propre vie et de son propre épanouissement", insiste l’experte. La masturbation présente de nombreux avantages, mais seulement si l’on y prend plaisir. Et si ce n’est pas le cas, inutile de se mettre une pression supplémentaire sur les épaules.