La flemme de s’habiller pour chercher l’amour

Figurez-vous que j’en ai marre de me saper comme jamais, tout ça pour attirer l’attention d’un beau gosse de passage au bar de Saint-Maurice en Haute-Loire. Pour info, les talons de 12cm, ça fait mal, et à force de godicher sur le dancefloor, j’ai attrapé la scoliose. Depuis, j’ai pris ma carte au parti «survêt» , et je vais voter pilou pilou pour le reste de ma vie. Est-ce que mes fesses existent toujours quelque part ? Même moi, j’ai un doute. Sauf qu’en pyjama-babouches, je suis «hakuna matata». Maintenant que j’ai le confort dans mon corps, j’ai jamais été aussi drôle de ma vie. Demandez à mon miroir, il se marre toujours en même temps que moi.

  • Je drague au téléphone
Vidéo du jour :

Sur iMessage, WhatsApp, Bumble, c’est seulement mon cœur qui parle, mon esprit vif et acéré, mon sens de la repartie cosmique et mon humour au vinaigre blanc. Qui a besoin de voir que je porte un maillot de la NBA en haut et un bout de Sopalin en bas ? Personne, je séduis avec mon look intérieur et il est digne d’une robe de Lady Gaga.

  • Je mise sur mon visage

Dans le fond, est-ce que ça m’est déjà arrivé de tomber amoureuse d’une paire de Birkenstock ? Jamais de la life. Tout le monde le sait, c’est le visage qui compte. On sourit, on a des beaux yeux, un teint bien lumineux, une dentition digne d’un squale et un coiffé-décoiffé qui rendrait jaloux n’importe quel lion. Notre visage est un aimant à amants.

  • Je mise sur l’uniforme

C’est la technique Charlotte Gainsbourg. On met toujours le même jean indigo, le même tee-shirt blanc et le même pull en cachemire. Roule ma poule, on maîtrise tellement les classiques qu’on est un genre de Mozart du look. Au marché de Cavaillon comme en soirée à Saint-Trop, on se fond partout, ne laissant apparaître que notre aura. Plus besoin de réfléchir, on s’habille en deux deux, intemporelle, iconique, emblématique.

La flemme de sortir pour draguer

Ah super, il y a une soirée techno-recyclage en l’honneur du céleri-rémoulade à la friche industrielle à quarante minutes en Uber Green ? Cool, je suis en route, j’arrive dans cent ans. Parce que là, rien que de penser que je vais devoir mettre un pied devant l’autre, puis commander une bière artisanale à la citrouille, j’ai juste envie d’allumer la télé et de regarder Les Experts à Miami. Sortir, à quoi bon ? Dehors il y a le froid, la pluie, le vent, des gens qui parlent fort de leur start-up ou qui te bousculent sur un remix d’Elton John. Alors que dedans, il y a mon canapé, Les Simpson et un tapis de yoga fort convenable pour faire la sieste. Et puis on parle de quoi dans ces soirées où faut répéter trois fois son prénom pour qu’à la fin on m’appelle «la fille blonde» ? De son télétravail ? De ses voyages ? Bah justement, moi, j’ai backpacké entre ma chambre et mon salon ce matin, c’était assez ouf.
  • Je drague chez moi
«Si tu ne vas pas à l’amour, c’est l’amour qui vient à toi» : cet adage est bien connu de toutes les filles qui aiment les chats et le point de croix. Bien sûr que si je veux, je peux pécho local. Le mec d’Uber Eats par exemple. Idem si je mets Bob Marley un peu trop fort vers 4heures du mat, sûrement que mes voisins auront la bonne idée d’appeler des gens en uniforme qui vont débouler pleins de virilité. Encore un jackpot. Pourquoi se fatiguer à sortir alors que la crème de la crème peut faire irruption à tout moment ?
  • Je deviens « the place to be »
Impensable d’aller au pub en bas de la rue ? Pas de problème, j’en ouvre un dans mon salon. J’organise les soi-rées que tout le monde s’arrache dans les coworking branchés. Dans mon salon, il y a trois tabourets hauts et je prépare vachement bien les verres de vin blanc, tu verras. Tu veux jouer au billard ? Pas de problème, j’ai un Scrabble où je fais des mots d’enfer, genre SEXE. Ce soir, aux commandes de mon enceinte Bluetooth il y a DJ MOI et je peux te dire que ça envoie. L’avantage, c’est qu’on n’est pas loin de ma chambre.
  • J’achète un van
Et je sillonne le vaste monde avec tout mon nécessaire de vie. Couchers de soleil, rave parties ou spots de grimpe, je suis sûre d’être toujours à une distance acceptable de mon lit. Qui a dit qu’il fallait sortir de sa zone de confort pour rencontrer l’amour ? Maintenant que j’ai un van, je peux flirter avec l’escaladeur du Verdon à midi, et rentrer binger Netflix quand il n’a pas répondu à mon message le soir.
 

La flemme des gens nouveaux

«Et toi, tu fais quoi dans la vie?» (sic). Eh bien là, vois-tu, je m’apprête à y mettre fin en plongeant dans ce verre de smoothie détox, tellement ça me fatigue d’avance de retracer ma biographie. Ce small talk est si harassant que j’en-visage de mettre mes mémoires en ligne sur Amazon. Oui j’ai un frère ou une sœur, oui j’ai déjà vu Game of Thrones, et comme tout le monde j’ai du mal à tendre les jambes en chien tête en bas. Parfait, on peut donc passer à l’étape suivante, celle où tu enlèves ton pull ? Trop tard, maintenant il me demande si j’ai déjà eu le Covid. Ce que je pense de la pandémie ? De ma relation avec mes parents ? De l’inflation? Bon, je vais te laisser, parce que de toute façon j’ai pas la force de te demander ton département de résidence et de répondre «trop cool, je suis déjà passée en train devant cette gare un jour».
  • Je ravive mes vieilles camaraderies
«Salut, c’est moi du CE2 ! Tu te rappelles ? Dans la classe de madame Carlinotte ? Eh oui, je n’ai pas changé ! Toi si, et en super bien ! Si j’avais pas fouillé, je t’aurais pas reconnu sur Instagram, dans cet avion de chasse. Je savais que tu deviendrais pilote, c’était sûr. Ah là là, c’est vraiment chouette qu’on soit meilleurs potes ! Tu passes à la maison ce soir ? Je te prépare ton plat préféré, des coquillettes avec un Candy’Up, puis on joue à notre jeu qu’on aimait bien, le docteur, tu te souviens ? »
  • Je m’inscris à la plongée sous-marine
Idéal pour rem-placer le bla-bla par des glouglous. Sous l’eau, on se parle avec les doigts, et c’est un très bon avant-goût de tout ce qu’on pourra se dire ensuite.
  • Je donne une chance aux potes de potes
Quelle heureuse trouvaille ! Oui, ceux-là, on les a déjà croisés par ici et ils repasseront par là. Et puis ils ont une vague idée de ce qu’on a fait dans la vie, et nous idem. Vingt minutes de gagnées au moins.
 

La flemme de faire l’amour

Évidemment que j’ai très envie d’une histoire d’amour sérieuse. Sauf que je sais très bien comment ça va se passer : d’abord on va rigoler, puis on va s’embrasser, bref on passera une soirée torride, j’aurai envie d’enlever son tee-shirt et là, il faudra que j’assure. Une caresse comme ci, un move comme ça, mettre sa langue ici, faire ça avec les doigts... Rien que d’y penser, j’entends cette petite voix qui me chuchote que l’esthéticienne c’est loin et cher, que mes culottes ne sont pas si sexy, et que surtout je n’ai pas assez de souplesse, du coup je vais ressembler à une brouette éreintée. Et imaginons que je n’aie pas assez d’énergie pour jouir ? Hein ?
  • Je me chouchoute
Si je suis si fatiguée de vivre des moments qui font plaisir à tout le monde, c’est que je couve quelque chose. Non, ce n’est pas la varicelle de la libellule, mais peut-être que je ne prends pas assez soin de moi ? Que je ne m’écoute pas assez ? Allez, je me fais une bonne sieste. On en reparle après.
  • Je revisite mes attentes
Qui a dit qu’il fallait être un modèle de perfection pour faire l’amour avec plaisir ? Non, je n’ai pas besoin de m’épiler jusqu’au crâne ni même de porter des tenues sexy. Le salto arrière ne garantit pas une bonne note, d’ailleurs il n’y a pas de note puisque ce n’est pas un contrôle. Il y a juste un moment où on se laisse aller, tranquillement, en déconnectant. Un moment de paresse en somme ?
  • Je l’endors
Au lieu de lui faire sa fête, je lui fais un bon massage. Je malaxe, je malaxe, jusqu’à ce qu’il s’endorme. Et moi aussi.

La flemme de croire en l’amour

Je ne suis pas née d’aujourd’hui, j’ai quand même vu le loup une fois ou deux, envoyé des cœurs et dit «je t’aime» à quelqu’un... et ça a fait un bide intersidéral. Alors voilà, je ne sais pas si j’ai la force de m’investir une nouvelle fois, avec mon cœur, mon âme et mon push-up dans une aventure sentimentale dont je vais peut-être revenir bredouille. Il faut quand même de l’enthousiasme, une bonne dose de confiance, d’optimisme, une grande sécurité intérieure, de l’audace et du lâcher-prise pour se lancer dans une histoire d’amour, et moi, après un bref inventaire des ressources à disposition, je constate que j’ai principalement une télécommande et un pyjama.
  • Je me secoue
Hé, moi là-bas, qui pense déjà à manger un quignon de pain en regardant la pluie tomber. J’en ai pas marre de suivre ma trajectoire intestinale du matin au soir ? Est-ce que je sais seulement que ça vaut le coup de sortir ? Que la vie appartient à ceux qui se lèvent ? Alors oh hisse, je sou-lève mes espérances jusqu’à la station debout. De là, j’y vois plus clair. Oui, le monde est flippant, l’amour est un mirage et j’ai pris deux kilos depuis que j’ai adopté un lifestyle de panda. Certes, j’ai l’engouement d’un escargot pour aller chercher l’âme sœur. Mais il me reste une chose au milieu de tout ça, c’est mon courage. Alors voilà ma technique : on va faire comme si. On a la flemme, bien fort, pendant disons cinq minutes, puis on y va quand même. On sourit, on s’habille, on sort, on fait l’amour, on y croit. Et ça passe. On fait comme si on n’avait pas peur, comme si on avait du cran, et petit à petit on n’a plus peur, et on a du cran. On avait la flemme, ouais, mais maintenant, on a la flamme.