Ça ne pouvait pas lui arriver, se disait-elle. C’est d’ailleurs ce que pensent toutes les femmes, à quelques exceptions près. C’est si rare. Et pourtant, Sandrine Graneau a bien été victime d’un choc toxique menstruel. Deux ans après, elle nous raconte cette vie bouleversée.

Qu’est-ce que le choc toxique ?

Le choc toxique est une infection très grave, qui peut être mortelle. "Environ 1 % des femmes portent dans leur vagin une bactérie de la famille des staphylocoques dorés", explique l’Inserm. Elle ne pose aucun problème, sauf dans certaines conditions où elle peut entraîner le syndrome du choc toxique pendant les règles.

"Lorsqu’on utilise un tampon ou une coupe menstruelle, le sang stagne dans le vagin. Se crée alors un environnement très favorable à la multiplication de cette bactérie. Or cette dernière sécrète une toxine qui, se diffusant dans l’organisme via la circulation sanguine, peut s’attaquer à nos organes : foie, reins, poumons", détaille l’Inserm. C’est ce qui est arrivé à Sandrine Graneau. Elle a perdu ses deux pieds et 18 phalanges.

Cette épreuve, elle la raconte dans un livre, co-signé avec Claudine Colozzi, ‘Choc toxique, Faut-il avoir peur des protections hygiéniques ?’, publié chez Flammarion.

 

Le 10 avril 2019, des douleurs abdominales surviennent au moment du diner. Elle se dit que sa coupe menstruelle la gêne peut-être : elle est en fin de règles. "Ces douleurs ont augmenté de plus en plus, raconte Sandrine Graneau. S’en est suivie une nuit assez catastrophique avec des diarrhées, des vomissements, de la fièvre, une chute de tension".

Au petit matin, elle est transférée aux urgences, puis est opérée. "Suite à l’intervention, j’ai développé une grande rougeur sur tout le corps et là les médecins ont compris ce qui était en train de m’arriver".

Sensibiliser aux risques des protections périodiques 

Ce qui est assez fou, c’est que l’idée d’un choc toxique a traversé l’esprit de Sandrine Graneau durant cette fameuse nuit, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. Elle l'a vite balayé, c'est vrai, c'est si rare, ça ne peut pas tomber sur elle. 

Et puis, "c’est quand même extrêmement minimisé sur les emballages. On en parle en tout petit dans une notice qui est traduite en 15 langues", souligne-t-elle. En plus, elle n'a rien fait de différent par rapport à d'habitude. 

"Je ne comprenais pas pourquoi ça m’était arrivée et ce que j’avais pu mal faire", explique cette femme. En effet, si elle n’a pas la montre en main pour s’assurer que le tampon ne reste que 4 heures ou la cup 12, elle ne fait pas n’importe quoi non plus. Surtout, avec des règles "extrêmement abondantes" et très longues, elle portait beaucoup de protections périodiques, et depuis longtemps.

Elle regrette : "J’étais des jours et des jours entiers avec des protections internes, et je n’avais pas du tout la notion que peut-être il pouvait y avoir un risque." Pour Sandrine Graneau, il faut que les femmes sachent, et ce, dès leurs premières règles.

Elle déplore le manque d’informations de la part des fabricants, et même le manque de formations des médecins et soignants. La preuve, une sage-femme consultée après son choc toxique qui est tombée des nues : elle ne savait pas que c’était possible avec une coupe menstruelle.

La cup menstruelle, "quand ça a été mis sur le marché et que ça a commencé à bien se vendre, on nous expliquait que ça se gardait 12 heures de temps, que ça se gardait la nuit, que ça pouvait s’utiliser même un petit peu avant les règles en précaution. C’est facile, on passe ça à l’eau, aucun problème, zéro contrainte hygiénique, et en fait c’est faux, et moi j’ai appris ça après".

Réapprendre à vivre après un choc toxique

Sandrine Graneau s’estime chanceuse. Certaines femmes trouvent la mort après un choc toxique menstruel. C’est le cas par exemple d'une Belge de 17 ans au début de l'année 2020. 

Pourtant avant même les amputations, Sandrine Graneau en a bavé. Cinq jours de coma, au réveil, des membres qui commencent à se nécroser, une pneumonie, bien d'autres choses, et puis une nuit d'enfer, où Sandrine Graneau pense que c'est la fin. Son corps est épuisé. 

Finalement, elle passe la nuit. Quelques temps après, une première phase de rééducation débute à la maison, au retour de l’hôpital. Sandrine Graneau doit apprendre à se servir de ses mains, avec des doigts qui ont une phalange.

La deuxième étape se déroule en hôpital de jour. "J’avais des séances de kiné et d’ergothérapie où on m’a réappris à marcher, on m’a réappris à me servir de mes mains de façon plus précise, et à me remuscler", explique Sandrine Graneau. C’est une période très difficile pour elle. Elle, si intense dans ses émotions, du rire aux larmes, ne ressent rien. Jusqu’au jour où on lui dit que les barres, elle gère : elle peut passer au déambulateur. "Pour la première fois je pouvais aller où je voulais depuis de longs mois, ça a été un grand moment d’émotions. Je me revois marcher avec les larmes qui me coulaient sur les joues. C’était une libération."

Sandrine Graneau décrit la rééducation comme les montagnes russes. Il y a des moments où ça va bien. L’appareillage, les progrès. Puis il y a des moments où le monde s’écroule. "Parce que je n’arrivais pas à enfiler ma prothèse un matin, là c'était les sanglots, j’en ai marre, ma vie est nulle, pourquoi on m’a sauvée."

Sa vie devient bien sûr de plus en plus simple au fil du temps, et les bons moments compensent largement les mauvais. 

"Je me souviens d’une balade sur la côte sauvage. On est parti, il y avait un vent pas possible, j’étais avec ma canne, mes prothèses et je peinais. On a réussi à aller au bord de l’eau, et j’ai pu m’assoir sur un rocher. J’avais mes enfants qui courraient autour de moi et c’était…Waouh. J’étais avec mes petits loulous, on profite d’une journée en famille et moi aussi je vais dans le sable, et moi aussi je profite comme eux alors que jusqu’ici j’étais beaucoup dans la frustration de ne pas pouvoir faire comme les autres." Les larmes aux yeux, elle se remémore cette journée. Avant de rire en se rappelant le retour, où elle a peiné de nouveau face au vent. Pas de doute, Sandrine Graneau ressent de nouveau intensément toutes les émotions : elle est en vie.