Après m’avoir raconté son date de la veille, les yeux de Laëtitia s’écarquillent : « C’est le 29e mec avec qui j’ai couché », souffle-t-elle.

Et alors ? « Ça fait beaucoup, non ? » Perso, ça ne me dérange pas. « OK, mais ça ferait flipper un mec, non ? Imagine que je me mette en couple et qu’il me pose la question… Je serais gênée. » Pourquoi ? « Je ne sais pas, ça fait un peu… fille facile. »

Laëtitia, tu as 28 ans, tu n’as pas atteint ce score en un mois. Et même si c’était le cas, tu fais ce que tu veux, l’expression « fille facile » ne veut rien dire.

«Tu crois qu’il réfléchirait comme ça ? Je ne regrette rien, mais je ne sais pas, il y a cette envie de passer pour une fille pure et sage quand tu tombes amoureuse. »

Ce n’est pas le nombre de tes conquêtes qui fait de toi quelqu’un de bien…

Le regard dans le vague, Laëtitia ne m’entend même pas. « Merde, le trentième, faut qu’il compte ! » s’écrie-t-elle.

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L'appréhension du jugement de son mec

Quand Justine nous rejoint, je lui résume notre conversation et elle se marre : « On s’en fout du nombre, on est en 2019 ! » Laëtitia secoue la tête : « Ça ne va pas faire changer la façon de certains mecs de penser. » Mais ceux qui nous jugent là-dessus, ils ne valent même pas la peine qu’on s’y intéresse, si ?

« Un mec, c’est un mec. Même s’il te dit que ça ne le dérange pas, il ne va pas hocher la tête comme si tu lui avais dit que tu avais mangé 29 olives avant d’arriver. Je suis sûre qu’il va glisser cette info dans son dossier interne, comme un petit profiler. »

Justine sort son portable et défile dans ses notes. Tu fais quoi ? « Je cherche ma liste de mecs. » Tu as une liste ? « Bah oui. Vous n’avez jamais fait la vôtre ? » Si. Laëtitia hoche la tête aussi. « Alors, moi je suis à… 32. Et j’ai un mec depuis un an que je n’ai jamais trompé, soit dit en passant. »

Et à lui, tu lui as dit ? « J’ai dit 17. » Laëtitia hausse un sourcil : « Pourquoi, on est en 2019, non ? » Justine éclate de rire : « Ça ne veut rien dire pour moi, mais j’avoue que je n’ai pas envie de le dire à mon mec. De toute façon, ce qui est important, c’est comment tu te sens, toi, par rapport à ce nombre. »

Intéressant… Et si j’allais mener l’enquête du côté des hommes ?

Avoir beaucoup de conquêtes, ce n'est pas réservé aux hommes

Quelques heures plus tard, je retrouve Antoine, Julien et Édouard.

« Moi, ça ne me dérangerait pas, admet Antoine. Ce sont les expériences de la vie. » Édouard fronce un sourcil : « Ça ne ternirait pas l’image que j’ai d’elle, mais ce qui me ferait flipper, ce serait de ne pas être à la hauteur. Je me dirais qu’elle a peut-être connu mieux que moi. » Antoine approuve : « Avec ma copine, on en a parlé au début de notre relation. Quand elle m’a confié avoir connu près de 30 mecs, j’ai eu peur de ne pas la satisfaire, qu’elle se lasse… »

Ça ne ternirait pas l’image que j’ai d’elle, mais ce qui me ferait flipper, ce serait de ne pas être à la hauteur

Ah, parce que vous imaginez que si on a couché avec beaucoup de mecs, c’est devenu une… habitude ?

« Pas du tout ! s’exclame Édouard. Mais ne me dis pas que si tu sortais avec un mec qui a eu beaucoup de conquêtes, ça ne te traverserait pas l’esprit qu’il puisse avoir envie d’aller voir ailleurs. » Hum… OK. « Il pourrait y avoir un sentiment d’inadéquation, intervient Julien. Si elle a couché avec 30 mecs et moi 15 filles… Je serais presque un peu jaloux ; moi aussi j’aurais aimé m’éclater comme ça. »

Les garçons gloussent. Bon, donc si votre copine vous confie qu’elle a eu pas mal d’expériences, vous n’allez pas le retenir contre elle ? « Ben non ! s’exclame Édouard, l’air surpris. Après, tout dépend de l’attitude qu’elle a quand elle me l’annonce. Si elle me le lâche avec un air de dédain, de fierté, genre “hey, mon coco, mate un peu mon palmarès”, ça ne me plairait pas trop. » Pourquoi ?

« Si tu me dis que tu as visité plus de pays que moi, OK. Mais si tu me le dis en me faisant passer pour un pauvre mec qui n’a jamais vu la mer, il y a un jugement. »

Être en accord avec soi-même, la seule limite de sa sexualité

Quand je rapporte les doutes de Laëtitia à Monika Mitic, psychothérapeute et coach de vie, elle soupire : « Nous avons longtemps baigné dans une époque à croyances limitantes. Mais 30 mecs, ça fait “un peu beaucoup” par rapport à qui ? À quoi ? Ce sont des vieux clichés qui n’ont pas lieu d’être. »

Et à force de nous rebattre les oreilles avec ça, on finit par se poser des questions… sur quelque chose de naturel. « Nos différentes relations participent à la connaissance de soi. Elles nous aident à définir ce que nous voulons, ce que nous aimons… »

Alors, finalement, il vaut mieux avoir eu pas mal de relations ? « Il n’y a pas de règles. Tout est une question de liberté d’être, avec soi et avec l’autre, d’assumer son désir… et surtout son plaisir. Si on rencontre un garçon en soirée et qu’on a envie de rentrer avec lui, on y va ! »

Avec une condition : « Il faut être honnête envers soi-même : qu’est-ce qu’on veut, exactement ? Si c’est simplement coucher avec lui, feu vert. Mais si on vient de se faire larguer, qu’on veut absolument se poser… On évite. »

Peu importe donc le nombre de conquêtes, du moment qu’elles nous apprennent. « Si on ne trouve pas l’amour, on va enfiler une ceinture de chasteté et être frustrée, malheureuse… tout ça à cause du regard potentiel d’une personne fermée d’esprit ? » Ben… non. « Alors on ne se prend plus la tête, et on vit. » Yes, Madame.

L’angoisse des hommes face à la liberté sexuelle des femmes

Et si les hommes étaient « conditionnés » pour tiquer devant une femme qui a connu beaucoup d’hommes ?

C’est l’opinion de Gérard Ribes, psychiatre et sexologue : « Les hommes sont toujours dans la comparaison, dans la classification, depuis qu’ils sont  petits – qui pisse le plus loin, qui marque le plus de buts… Une femme qui a un passé sexuel, dans le registre du monde masculin, c’est une conquérante, susceptible d’entrer en compétition avec eux. »

Avec cet esprit de challengeur, leur phobie principale apparaît logiquement : celle de perdre. « Le rêve absolu d’un homme, c’est d’avoir une femme désirante en permanence, mais c’est aussi sa terreur, parce qu’il a peur de ne pas assurer : une érection, ce n’est jamais gagné d’avance. »

Une femme qui a un passé sexuel, dans le registre du monde masculin, c’est une conquérante, susceptible d’entrer en compétition avec eux

Mais pourquoi voir le sexe comme un concours ? « Les hommes évaluent leur virilité sur la façon dont leur compagne jouit, comme s’ils avaient des points à gagner – et avec une femme expérimentée, l’enjeu est plus haut. Dans “Monsieur Malaussène au théâtre”, Daniel Pennac écrit très justement : ‘‘Tout homme banderait s’il ne savait pas que les autres hommes bandent”. »

Ce qui explique aussi leur façon d’augmenter leur nombre de conquêtes : « Quand ils “recensent” leurs partenaires, hommes et femmes sont honnêtes de leur point de vue : les hommes maximisent, ils comptent tout, tandis que les femmes sont plutôt dans la minimisation pour ne retenir que les moments importants. »

Alors on fait quoi ? On ne dit rien ? À nous de voir. « Il n’y a pas de mal à se faire du bien. La quantité n’a rien à voir avec la qualité : ce qu’il faut rechercher, dans le sexe, c’est qu’il soit épanouissant. »

Et finalement, ne penser qu'au plaisir

Le samedi suivant, je retrouve Laëtitia chez elle. Elle m’accueille avec une bouteille de champagne et deux coupes : qu’est-ce qu’on fête ? « Le trentième ! » s’exclame-t-elle en faisant sauter le bouchon. Ah ! Alors, il a « compté » ? Laëtitia glousse en nous servant : « Pas du tout, on n’a même pas échangé nos numéros. »

Elle sourit et fait tinter sa flûte contre la mienne : « Je me suis amusée, c’est le principal. 3, 20, 40… » Elle me chuchote : « Et puis, sans ce trentième, comment j’aurais su que j’adore… » Elle explose de rire avant de finir sa phrase.

Apparemment, elle a appris quelque chose de nouveau sur son corps qu’elle ne risque pas d’oublier… Vive le trentième ! 

Merci à Gérard Ribes et Monika Mitic (monika- mitic.com) pour leur participation à cet article.