L'année dernière, le mensuel américain The Atlantic lance un pavé dans la marre : les jeunes feraient bien moins l’amour que leurs aînés. Chiffres à l’appui, la journaliste Kate Julian explique qu’aux États-Unis, la proportion de lycéens ayant déjà profité des joies du coït est passé de 54% à 40% entre 1991 et 2017. La preuve, selon elle, d’un désintérêt pour le sexe chez la génération Z.

Mais le phénomène semble finalement plus large que cela et concernerait aussi les millennials, du moins les plus jeunes d’entre eux. Un constat suggéré par le rapport de l'Institut américain General Social Survey : alors qu’en 2008, seuls 8% des 18-29 n’avaient pas eu de rapports sexuels au cours de l’année passée, le chiffre explose dix ans plus tard et passe à 23% en 2018.

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Un phénomène observé ailleurs qu’aux États-Unis et notamment au Japon, en Grande-Bretagne, en Finlande, aux Pays-Bas et en Suède. La France est elle aussi concernée et, selon un sondage réalisé par JAM, un chatbot français à destination des 15-25 ans, 48% des jeunes estiment qu’ils font bien moins l’amour que leurs aînés.

85% des jeunes considèrent que le sexe est important pour eux

Pour Marjolaine Grondin, CEO et co-fondatrice de JAM, le terme de « génération no sex » serait quelque peu exagéré. Elle lui préfère l’expression « slow sex » et nous explique : « Ce n'est pas une génération qui n'a plus de rapports sexuels ou qui les réprime. Ils sont d'ailleurs 85% à nous dire que le sexe est important, voire très important pour eux. On ne se dirige pas vers la disparition de toutes les formes de sexualités mais on observe un remaniement des acquis et des tabous. »

Se voir et apprendre à se connaître physiquement est progressivement remplacé par l'envoi de textos ou de photos coquines

Le sexe est toujours là mais prendrait donc d’autres formes. Une évolution des choses qui pourrait notamment s’expliquer par nos modes de vie, désormais hyper-connectés.

C’est ce que nous confie Marjorie Cambier, psychologue clinicienne sexothérapeute : « cette connexion à outrance a les effets positifs qu'on connaît mais également un immense défaut : elle détourne les jeunes du réel. Se voir et apprendre à se connaître physiquement est progressivement remplacé par l'envoi de textos ou de photos coquines, dont l'excitation et le plaisir retirés suffisent souvent à satisfaire la pulsion sexuelle, alors qu'il y a encore quelques années, cela constituait un préliminaire à une relation sexuelle physique bien réelle. »

Le stress et le porno, principaux responsables de la baisse de la libido

Ce mode de vie surconnecté jouerait donc bel et bien sur la sexualité des jeunes. Mais lorsqu’on interroge les principaux concernés, les écrans n’arrivent qu’en quatrième position des grands responsables de la baisse de la libido. Avant ça, ils citent le stress (33%), le porno (25%) et l’insatisfaction (20%). Une insatisfaction qui serait finalement due en grande partie… au porno.

« Le porno tient selon moi un rôle prépondérant dans le déclin de la sexualité chez les millennials » affirme Marjorie Cambier.

Pour la psychologue clinicienne sexothérapeute, « les jeunes y sont confrontés régulièrement et de plus en plus tôt. Ils s’habituent et ce dès leur plus jeune âge à visionner des pratiques sexuelles de plus en plus hard, il construisent littéralement leur sexualité autour de ces pratiques qu'ils considèrent comme ‘normales’ et leur excitation devient de plus en plus dépendante de cela. Du coup, dans la réalité, l'excitation ne monte pas comme prévu et les stimulations nécessaires à sa montée ne sont pas forcément présentes. »

Le sexe n’est qu’une histoire de performance

Il n’y a pas que le porno qui véhicule une certaine image du sexe. Les médias, la publicité ou encore le cinéma et les séries offrent, eux aussi, une vision bien spécifique du plaisir, de l’excitation et du coït. Mais si le sexe est partout, cela n’encouragerait finalement pas à passer à l’acte. Car en véhiculant une certaine vision du sexe, le porno, les médias et la pop culture créent des complexes chez celles et ceux qui les consomment. Surtout lorsqu’ils/elles sont jeunes.

Et ce, en donnant à penser que le sexe n’est qu’une histoire de performance et ne fonctionne que selon un schéma bien rodé qui s’applique à tout le monde. « Il y a une vraie pression autour de la performance, véhiculée par le porno et les médias en général, et ce concernant les hommes comme les femmes » confirme Marjorie Cambier, « cela provoque beaucoup de complexes chez les jeunes (et pas que) qui ne comprennent pas forcément que la sexualité, ce n'est pas cela. »

Le porno est leur principale source d'éducation sexuelle.

Une certaine idée du sexe, dans « laquelle les jeunes ne se retrouvent pas forcément » ajoute Marjolaine Grondin. Elle poursuit : « Ils ont conscience, en particulier les femmes, qui en sont les principales victimes, de la pression liée à des canons de beauté frustrants ou à des standards inatteignables sortis des films pornos… Mais ils n'ont pas souvent les armes pour lutter contre ces impératifs. 14% des hommes de 15 à 25 ans déclarent même que le porno est leur principale source d'éducation sexuelle. »

Génération no sex : vers un tabou de la relation amoureuse ?

Si le sexe est partout, « ce n'est pas pour autant qu'il est vécu intimement, de manière réaliste et dans des moments partagés » nous confie Marjorie Cambier. Pour elle, le sexe chez les jeunes « se vit souvent seul, dans son coin, ou séparés via une appli. Chez les millenials, il est de plus en plus mental et lié aux fantasmes et de moins en moins réel. »

Une distance physique et psychique qui ne concernerait pas que le coït mais aussi les relations amoureuses. Comme si, finalement, c’était l’intimité qui posait surtout problème. « C'est le véritable enseignement de notre étude. L'amour et les relations amoureuses deviennent progressivement plus tabou, moins désirables » confirme Marjolaine Grondin.

Selon elle, « les jeunes associent l'amour à l'idée du couple, qui est un concept vieillissant pour certains. Il y a une véritable injonction à l'aventure sexuelle chez les jeunes et l'amour semble devenir un frein aux expérimentations. »

Les jeunes associent l'amour à l'idée du couple, qui est un concept vieillissant pour certains

Pour Jessica, jeune femme de 25 ans citée dans l’étude de JAM, le tabou des sentiments est une réalité : « Il y a des tabous autour de nos envies, de nos pratiques, de qui on aime mais surtout des sentiments. Comme si on ne pouvait pas/ne devait pas en avoir. Les réseaux sociaux déshumanisent de plus en plus nos relations et parfois cela nous empêche indirectement de nous livrer à la personne qui nous plait et parler de nos sentiments. »

Un point de vue partagé par Vincent, 21 ans : « on a peur d’aimer, on privilégie le travail. Donc on oublie de vivre passionnément des relations, qu’elles soient sexuelles ou amoureuses. »

Si le ton se veut quelque peu alarmiste, la situation ne serait-elle finalement pas plus nuancée qu’on le pense ? La sexualité des jeunes n’est pas celle de leurs aînés, de la même façon que la vie sexuelle de leurs aînés n’était pas celle de leurs parents. À chaque génération, les choses évoluent et des apprentissages se font. « Les jeunes sont de plus en plus nombreux à prôner une sexualité bienveillante, à vanter les mérites de l'écoute et de la communication, du plaisir et du désir » vient ainsi nuancer Marjolaine Grondin. De quoi nous faire dire que le tableau n’est finalement pas si noir.

Merci à Marjorie Cambier, psychologue clinicienne sexothérapeute