Le racisme ne s'arrête pas aux frontières du couple. Tout comme les autres rapports sociaux, les rapports affectifs peuvent être régis par un certain nombre de comportements et de stéréotypes racistes. "J’adore les femmes noires", "je ne sors qu’avec des femmes asiatiques", "je préfère les beurettes"... Autant de propos qui illustrent ce qu’on appelle la fétichisation.

Le corps des femmes racisées est encore la source de fantasmes qui les renvoient à un statut d’objet dont elles ne veulent plus. Rokhaya Diallo, co-autrice de Kiffe ta race, paru aux Editions First et co-créatrice du podcast du même nom, analyse comment et pourquoi les femmes non-blanches peuvent être victimes de racisme dans leur vie amoureuse.

La fétichisation des femmes racisées

Le racisme dans la sphère du couple et du dating prend souvent la forme de la fétichisation. "C’est lorsqu'on voit une femme non-blanche et qu’on ne la considère plus dans son individualité, mais dans son appartenance à un groupe réel ou supposé", explique la journaliste. L’individualité et l’identité sont alors gommées. On prête alors aux individus noirs, maghrébins, asiatiques etc, des caractéristiques négatives ou positives qu’on associe par préjugés à des groupes plus larges. Ce qui n'est pas le cas lorsqu'on dit qu'on préfère les blondes ou les brunes par exemple. Si cette fétichisation touche davantage les corps féminins, elle n’épargne pas pour autant les hommes, comme c’est le cas des hommes noirs et des stéréotypes sur la taille de leur sexe.

Fétichiser les femmes non-blanches est une façon de leur imposer une assignation identitaire. "Ce que j'ai pu constater en tant que femme noire dans le contexte français, c'est que souvent, on projette sur nos corps une forme de puissance sexuelle, une hypersexualisation et une animalité", analyse l’autrice. Les Maghrébines sont quant à elles perçues comme étant des femmes qu’il faudrait sauver : "On imagine que ces femmes sont soumises à une forme de patriarcat très spécifique qu'on relie en fait à l'Islam et aux musulmans." Les femmes asiatiques ne sont pas épargnées. Grace Ly, co-autrice du livre et co-animatrice du podcast Kiffe ta race l’explique d’ailleurs très bien dans l’épisode trois appelé "La panthère, la Geisha et la gazelle". "Elle raconte que les femmes asiatiques sont souvent considérées comme des femmes très dociles, très discrètes et donc que certaines personnes vont être attirées par ces femmes en imaginant pouvoir asseoir une forme de domination sur elles", détaille Rokhaya Diallo.

Pourquoi les femmes non-blanches sont-elles fétichisées ?

Derrière l’intérêt sexuel pour les personnes racisées se cachent des stéréotypes datant de la colonisation. Rokhaya Diallo est très claire : "La fétichisation du corps des femmes non-blanches est totalement liée à la colonisation. Il faut rappeler que la colonisation, c'est une invasion extrêmement violente qui a été accompagnée de pillages, de mise à mort, mais aussi de viols." Durant cette période de l’Histoire, les femmes étaient devenues elles-mêmes des territoires à conquérir. 

Cette conquête a pris la forme de viols coloniaux, mais aussi de "mise en scène esthétique de la mise à disposition des corps, notamment à travers des cartes postales qui étaient vendues au début du XXe siècle". On y voyait des femmes dénudées poser aux côtés de colons qui s’exposaient de manière triomphale. À contrario, les corps des femmes blanches étaient quant à eu préserver de la visibilité de tous. Cette différence de traitement démontre à quel point les femmes minorées étaient considérées comme des propriétés du pouvoir colonial.

Les carcans de la colonisation sont encore d'actualité. Les sites pornographiques et leurs rubriques en sont la preuve, comme l'indique l'autrice : "Il y a des catégorisations qui correspondent justement à ces groupes ethniques." Malgré elles, ces femmes sont fantasmées, fétichisées et même déshumanisées.

La requête "beurette" est aujourd’hui l’une des plus courantes dans les moteurs de recherche des sites pornos. Ce terme est en lui-même extrêmement problématique. "Il est devenu infamant au cours des années 2000 où on l'utilisait pour disqualifier les jeunes femmes d'origine maghrébines en leur prêtant une moralité douteuse", détaille l'autrice. En plus d'être un fantasme orientaliste, la "beurette" est devenue un cliché raciste. 

La beauté des femmes non-blanches jugée à travers un prisme occidental

Les femmes minorées subissent également du racisme dans l’appréciation de leur beauté. Pour Rokhaya Diallo, il s’agit, là encore, d’une des conséquences de la colonisation. "C'est le moment où en fait, on a établi les populations blanches européennes comme étant le référent, aussi bien sur le plan intellectuel, sur le plan culturel que sur le plan physique." Le physique du colon était un idéal de beauté à atteindre.

Cela a donné lieu à des phénomènes comme le colorisme au sein de plusieurs populations : "Dans les pays d’Afrique noire ou dans le Sud de l'Asie, les personnes qui sont considérées comme les plus belles sont les plus claires. Ça crée des hiérarchies au sein des populations qui sont issues d'un même groupe ethnique." Pour blanchir leur peau, certaines femmes ont même recours à des produits blanchissants dangereux pour la peau. Ainsi, des femmes comme Beyonce ou autre, peuvent être érigées en modèles de beauté noire, alors qu’elles ont la peau claire.

En Asie, certaines femmes, n’hésitent pas à avoir recours à la chirurgie esthétique débrider leurs yeux en amande. "On considère que ce marqueur ethnique est inesthétique et qu’il faut avoir une forme qui se rapproche davantage de la forme qu'on envisage comme étant la forme blanche", détaille la journaliste. Finalement, les personnes minorées les plus belles seraient celles dont le marqueur ethnique est le moins visible. 

L’importance de déconstruire notre histoire collective pour lutter contre la fétichisation

La majorité des gens sont porteurs de biais racistes sans même en avoir conscience. Ce sont souvent les conséquences d'un manque de connaissances de l'Histoire de notre pays. Et si on ne peut effectivement pas la changer, "on peut au moins prendre prendre connaissance du passé dans sa complexité", encourage Rokhaya Diallo. Cette dernière insiste sur l'intérêt de connaître les faits historiques "dont nous pouvons être fier.e.s collectivement", tout en n'oubliant pas "les moments de l'Histoire qui sont beaucoup moins glorieux et qui peuvent même parfois faire honte". 

Pour déconstruire notre présent, il faut connaître notre passé dans son intégralité : "Aujourd'hui, les instances dirigeantes françaises ont un désir extrêmement fort de raconter la France en la réduisant à un passé de gloire, à un passer de domination bienveillante là où on refuse, ou en tout cas on a d'énormes difficultés à faire état de choses qui sont beaucoup plus sombres, beaucoup plus violentes, et qui ont contrevenu à tous les principes qui annoncent aujourd'hui la République." Faire fi du passé colonial de la France et de ses conséquences dans le monde d'aujourd'hui ne nous permet pas de faire corps social tous et toutes ensemble. Cela produit également du ressentiment. C'est pour toutes ces raisons qu'il est plus que jamais essentiel d'étudier et de raconter cette Histoire en lui faisant une place dans le récit national. "Il faut le faire, c'est important pour les générations à venir", assure l'autrice.

Cela permettrait également aux individu.e.s de comprendre que les relations qu'on entretient avec les autres sont souvent influencées par "toutes ces questions d'oppression et que notre regard est influencé par cela", précise Rokhaya Diallo.  

Savoir décrypter les fantasmes pour en finir avec l’exotisation des femmes

Apprendre à repérer des partenaires fétichisant.es n’est pas chose simple. "C’est très compliqué quand on est dans une phase de rencontre ou sur une application de rencontre d’identifier les moments où on est fétichisées, où on est approchées parce que quelqu’un projette sur nous des choses qui sont liées à notre ethnicité, réelle ou supposée", reconnaît Rokhaya Diallo. La récurrence des ex appartenant au même groupe racial réel ou supposé peut mettre la puce à l’oreille.

Ces dernières années, plusieurs initiatives se sont développées sur les réseaux sociaux, à l’image du compte Instagram @femmesnoiresvs_datingapps qui raconte l’expérience des femmes noires sur les applis de dating. Pour faire face à la fétichisation et aux micro-agressions dans le dating, certains sites de rencontre montent au créneau. C’est le cas de Badoo, qui lançait en mars 2021 une campagne incitant les utilisateur.rice.s à dépasser les préjugés. 

"Il ne s’agit pas de faire la police des relations de couple, d’interdire tel ou tel type d’union ou de dire que d’aller vers tel type de personne, c’est bien, ou d’aller vers tel type, ce n’est pas bien. Je pense que ce qui est important dans le couple, dans l’amour, dans l’amitié, c’est la liberté", insiste Rokhaya Diallo. "C’est important de se rappeler qu’on vit dans un contexte patriarcal, dans un contexte qui est hérité d’une histoire de racialisation et que donc, les relations qu’on développe avec les autres ne sont pas neutres", conclut l’autrice.