« Thomas aura les yeux bleus et les cheveux marron avec une mèche, un sweat à capuche rouge, il courra vite et il aimera bien faire la fête. » C’est en ces termes que Garance, 6 ans, me décrit son futur amoureux et mari, père de leurs jumeaux à venir, Léo et Léa. J’ajouterais bien à sa liste qu’il doit avoir des sweats de rechange, être gentil avec elle et respectueux envers les femmes.

Je lui raconterais bien également l’histoire de sa maman et de toutes ces femmes qui se sont perdues tant de fois ?en croyant trouver le « bon », c’est-à-dire celui qui remplissait tous leurs critères, sauf peut-être celui de les rendre heureuses. Et qui, un jour, sont tombées sur celui qu’elles n’attendaient pas.

Sortir avec un collègue

Garance a toute la vie pour changer de critères, et ses seuls bobos, elle les arbore sur ses genoux. Mylène a 35 ans et un certain nombre de chagrins d’amour au compteur. Alors, il y a quelque temps, elle a décidé de se protéger et de ne plus perdre de temps : « Quand on a vécu pas mal d’histoires foireuses, on a l’impression d’être au clair sur ce qu’on veut. Ça fait une sacrée sélection. Il sort d’une histoire compliquée ? Je zappe. Il vit à 500 km ? Suivant. Il n’a jamais vécu seul ? Next. » « Chat échaudé craint l’eau froide », et les douches froides, Mylène n’en veut plus.

Alors, le mécanisme est simple : pensant tirer des leçons des expériences passées, elle a procédé par élimination. « Mon objectif était très clair, c’était de gagner du temps et d’aller droit au but. Le but, lui, était moins officiel, puisque c’était de me maquer pour de bon et d’avoir des enfants... »

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Moins officiel peut-être, mais pas besoin d’avoir fait une licence de psycho pour interpréter les signaux émis à cette époque : « Sans surprise, ça n’a pas marché. J’ai rencontré quelques mecs qui remplissaient mes conditions. Mais j’étais dans une attente qui plombait la relation. Finalement, en voulant gagner du temps avec mes critères, je ne faisais que sauter des étapes. » Y compris celle, indispensable, de la légèreté, de l’inconnu et de la découverte.

“No zob in job”, c’était un de mes mantras

« Pendant toute cette période, j’étais assez proche d’un collègue. “No zob in job”, c’était un de mes mantras. Un des siens aussi, alors il n’y avait pas d’arrière-pensées entre nous.? Un beau jour, j’ai réalisé que j’aimais notre relation. Celle qu’on avait eu le temps de tisser, parce qu’avec lui, je n’avais pas mis la charrue avant les bœufs. »?

Ce qu’on peut retenir : Souvent, nos conditions portent sur l’autre. Mais ce genre de raisonnement zappe un aspect essentiel de la relation : la relation... Pour ne pas passer à côté d’une belle histoire, nos fameux critères doivent concerner le lien à deux (de la complicité, de la confiance), et pas l’autre pris comme un individu isolé.

Sortir avec un homme plus vieux

« On a toujours dit de moi que j’étais mature, se souvient Axelle. C’est plutôt valorisant, comme remarque. Ma mère me répétait que je ferais ma vie avec un type plus vieux que moi. La suite lui a donné raison, les mecs qui ont compté dans ma vie avaient toujours quelques années de plus. Plus de vingt en ce qui concerne l’avant-dernier. Puis il y a eu Quentin. On s’est rencontrés au mariage d’une cousine.

On s’est vaguement dragouillés et je lui ai laissé mon numéro. Je lui donnais à peu près mon âge, soit 23 ans, trop jeune pour moi, mais on a eu un bon feeling et j’avais envie de m’amuser.

Quand on se revoit, j’apprends qu’il a 18 ans. J’explose de rire : moi, avec un 2000 ! Il entame ses études de commerce, je termine mes études de sage-femme et je commence à bosser. Alors oui, il y a un décalage entre nous, mais pas beaucoup plus qu’entre moi et un mec né sous Mitterrand qui a fait son service militaire ! » Un an et un appartement plus tard, aucun regret pour Axelle, qui réalise que les rencontres dans la vraie vie ont cet avantage sur les applis : « Le critère d’âge, c’est un des premiers qu’on doit remplir sur Tinder. Alors, jamais je n’aurais pu croiser Quentin avec cette appli. »

Ce qu’on peut retenir : Parfois, ce qu’on perçoit comme un critère très objectif, l’âge par exemple, en recouvre un beaucoup plus subjectif. « Ce dont j’avais besoin, confirme Axelle, c’est de maturité. Mais concernant l’âge, je me trompais de combat, car on peut être mature à 18 ans et complètement immature à 45 ans. »

Pour Clara, le blocage fut plutôt sur la taille. « Pourtant, ce n’est pas comme si je faisais 1,78 m, ironise-t-elle. Avec mon 1,60 m, je n’ai jamais eu de mal à trouver des mecs plus grands. D’ailleurs, quand on me demandait quels étaient mes critères, c’était le seul qui me venait à l’esprit. Avant ce repas des anciens du lycée, j’ai repensé à Guillaume, que je trouvais super mignon, en me demandant s’il avait un peu grandi depuis la terminale. La réponse était non. Toujours 1,65 m. “Comme Daniel Radcliffe”, ajoute-t-il souvent quand on lui parle de sa taille.

Il n’a aucun problème avec ça, il s’en amuse, et ce qui pourrait être un complexe n’en est pas du tout un. Quand je porte des talons, je le dépasse d’une demi-tête, et alors ? Quand on nous dit “c’est marrant, t’es plus grande que lui”, je réponds que c’est marrant de souligner ça en 2019. » Car Clara s’en rend compte, son critère était tout droit sorti de clichés liés au genre.

« Ce côté petite chose fragile dans des grands bras d’homme, je réalise que c’est un truc très inconscient dont je suis contente de m’être débarrassée. » Avec lucidité, elle reconnaît : « J’ai besoin d’être rassurée en amour, mais aussi dans toutes mes relations. Avec les mecs, j’ai cru que ça passait par une supériorité physique. Aujourd’hui, je me sens en sécurité avec Guillaume, parce que je lui fais confiance et qu’on peut tout se dire. Cette certitude, c’est bien plus apaisant que quelques centimètres supplémentaires. »

Quand je porte des talons, je le dépasse d’une demi-tête, et alors ?

Ce qu’on peut retenir : Parfois, on croit chercher une caractéristique chez quelqu’un (plus grand, plus jeune ou plus âgé, artiste, ingénieur, brillant...), alors que ce qu’on veut, en réalité, c’est une émotion à éprouver : dans le cas de Clara, un sentiment de sécurité. À nous d’identifier l’émotion en question et de ne pas y plaquer un critère arbitraire !

Sortir avec un homme qui me ressemble

« J’ai toujours vécu en ville. Pendant mes études à Rennes, j’avais pris un appart à 5 km du centre. Deux mois plus tard, je déménageais. Ce que j’aime, c’est prendre mon café en terrasse quand la ville se réveille, tout faire à pied, aller au ciné, improviser un musée ou une expo le samedi, dîner au resto quand j’ai la flemme de cuisiner. Et c’est ça aussi que j’avais envie de partager avec mon futur mec.

Pendant des vacances dans le Sud-Ouest, je rencontre Martin dans une fête de village. Il a grandi à Bozouls, étudié à Onet-le-Château, et est retourné vivre à Bozouls, parce qu’à “Onet-le-Château, il y a trop de monde”, à savoir 12 000 habitants. Il habite à deux heures de Toulouse mais il n’y va jamais et il passe ses week-ends à faire de la spéléo et de la randonnée. Notre histoire est censée être une aventure de vacances, mais on reste en contact : six mois après, je m’installe chez lui le temps de mon stage. Mes copines et mes proches me disent que je ne vais pas tenir quinze jours : ça fait un an que je vis là-bas. »

Il passe ses week-ends à faire de la spéléo et de la randonnée

Pour Jeanne, le critère n’était pas de trouver « un mec de la ville », mais de partager des rituels, et d’avoir les mêmes plaisirs et repères. Et ça n’était pas vraiment le cas : « Cette différence de mode de vie, ça se répercute dans plein d’aspects : quand je lui parle de Lars von Trier, je le perds, quand il évoque les tourbières ou les causses, c’est du chinois pour moi. Mais on se fait découvrir mutuellement des choses. Je l’ai emmené au Millau Jazz Festival, à une heure de route de chez lui, alors qu’il n’y était jamais allé. Il m’a installé l’appli PlantNet, une sorte de Shazam des plantes. »

Les différences enrichissent, mais pas besoin pour autant de se fondre l’un dans l’autre : « Le week-end, il a envie de partir camper avec ses potes, moi de retrouver les miens pour leur faire découvrir Toulouse. Alors, on fait nos trucs chacun de notre côté. » En sortant de son mode de vie habituel, Jeanne est sortie aussi d’un fonctionnement qu’elle connaissait par cœur : « Avec Martin, j’entrevois un autre type de relation, où l’autre n’est pas mon tout. J’ai mes amis, mes copines, mes plaisirs, et je l’ai, lui. C’est comme ça que je me sens vraiment moi- même, et libre. »

Ce qu’on peut retenir : C’est rassurant d’aller vers ce qu’on connaît, et donc ce qui nous ressemble. Mais on risque de passer à côté de personnes géniales... et d’une relation où chacun est propriétaire de son « jardin secret » et évolue dans le couple de façon autonome.

Sortir avec un homme qui partage le même mode de vie

« Je bois souvent trop en soirée, je fume trop, je mange trop par périodes, bref, “Excès” pourrait être mon deuxième prénom. Quand une copine arrête de fumer, j’ai l’impression qu’elle me lâche, et les gens qui commandent des Schweppes lors d’un dîner me dépriment. Sauf Joachim, qui ce soir-là me fait mourir de rire et avec qui je reste jusqu’à la fermeture du bar. Les premiers rencards sont bizarres. Normalement, quand je revois un mec au début, c’est le soir, autour de quelques verres. Avec Joachim, on se voit l’après-midi ou on fait des pique-niques en bord de Seine. Je me vois mal apporter ma bouteille de rosé. Ça peut passer pour des détails, mais ça change vraiment les débuts d’une relation, quand on sort des codes habituels. »

Et il n’y a pas que les repères amoureux qui sont bousculés. « Je découvre que ce que je croyais essentiel ne l’était pas. Je n’ai pas arrêté de boire et je détesterais qu’il me fasse des réflexions du genre “tu ne devrais pas reprendre une bière”, de la même façon que je ne me permettrais pas de lui dire “et toi, tu devrais en prendre une”. Mais maintenant, quand j’apprends qu’on sera en plein ramadan au moment où on partira au Maroc et que je ne pourrai pas boire mon petit apéro, je me dis que ça me fera du bien, et pas qu’on ferait mieux de décaler les dates ! »

Ce qu’on peut retenir : Avoir un mec qui ne correspond pas à un critère, qu’il soit conscient ou inconscient, c’est aussi bénéfique que de sortir de sa zone de confort. C’est la voie royale pour revoir nos a priori et faire du ménage dans nos priorités, nos jugements et nos idées reçues. Sur l’autre, bien sûr, mais aussi sur les autres et sur notre propre vie.

Si jamais vous bloquez encore, voici une liste de critères à ne pas suivre : 

Qu’il habite à moins de 100 m d’une bouche de métro, qu’il ait fait allemand LV1, qu’il soit de groupe sanguin O négatif, qu’il dispose d’un ascenseur, qu’il ait la carte de fidélité Biocoop, que sa ville soit desservie par le TGV, qu’il bénéficie d’un super comité d’entreprise, qu’il ait un pied-à-terre dans les Cyclades, que son logement soit équipé de volets électriques, qu’il soit abonné à Netflix.