"De de temps en temps, je me sens angoissée à l’idée de n’avoir jamais connu la vie à deux. J’aimerais essayer, mais est-ce que je ne vais pas trouver ça trop envahissant ?, se demande Charlotte, 30 ans. Dans le célibat, il y a un côté confortable, on est 100% libre. Je n’ai pas envie de me complaire dans cette habitude, mais j’ai du mal à me projeter dans autre chose."

Des relations, pourtant, Charlotte en a connu. "La plus longue a duré huit mois... mais je ne m’estimais pas en couple avec le mec que je fréquentais. Ce n’était pas non plus un plan cul. On se voyait toutes les deux semaines chez lui ou chez moi, on allait au resto, on prenait un verre... mais je n’avais pas de sentiments pour lui, ni l’envie d’officialiser cette histoire."

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"Comment réussir à aimer en ce début de 21e siècle ? Comment accepter profondément l’autre quand le zapping est ma culture ? Comment croire en l’amour pour toujours quand tous les autres échouent autour de moi ? Quel est le sens de l’amour aujourd’hui ?" C’est ainsi que l’autrice et psychanalyste Fabienne Kraemer débute son livre 21 Clés pour l’amour slow, dans lequel elle s’interroge sur l’avenir du couple.

La faute, selon elle, vient d’une vision de l’amour où "seul le sentiment amoureux en tant que passion vaut d’être vécu". Comme si l’étincelle des débuts pouvait durer toujours... Une illusion que notre génération semble avoir du mal à assimiler, et qui pousse à multiplier les rencontres pour retrouver ce senti-ment initial.

Sonia, 25 ans, en témoigne : "Je m’ennuie très vite avec les hommes, on se retrouve rapidement plongé dans une routine, ce que je déteste. Du coup j’enchaîne les histoires, en espérant tomber sur celui qui me donnera envie d’aller plus loin." Comme Charlotte ou Sonia, elles sont nombreuses à s’interroger... et à souffrir en silence de la situation.

L’impression de ne pas être dans la norme

"La plupart de mes copines sont en couple. Résultat : je passe pas mal de week-ends et de soirées seule. Le côté positif, c’est que je fais beaucoup de choses pour moi. Mais j’ai souvent la sensation de ne pas être “normale”. Quand on me demande pour quelles raisons je ne rencontre personne, c’est pire : on dirait que je dois me justifier. Du coup je me remets en question... J’ai récemment entrepris un travail avec une psy pour tenter de comprendre ce qui bloque", confie, émue, Éloïse, 32 ans.

Cécile Guéret, psychothérapeute Gestalt et autrice, explique que "cette pression sociétale peut entraîner une culpabilisation, voire un doute sur le fait que nous ne serions pas dignes d’être aimée. L’entourage veut comprendre “ce qui cloche”. Comme si c’était notre faute et que nous devions en porter l’entière responsabilité. En parallèle, il y a aussi cette accusation de ne pas avoir assez de confiance en soi : "Si je n’ai pas été digne d’être aimée, c’est que je ne m’aime pas assez." Encore une culpabilisation ! Et la célibataire conclut qu’elle doit travailler sur elle, oubliant au passage que la confiance en soi ne se construit pas seule, mais dans le regard et le soutien de nos semblables. C’est dans la relation à l’autre bienveillant que nous pouvons réparer la mauvaise image que nous avons de nous-mêmes. Alors qu’en se dévalorisant, on risque de s’exclure encore un peu plus de la possibilité de la rencontre."

Rencontres bancales et surconsommation

"La dernière fois que j’ai fait une rencontre dans la vraie vie, ça doit remonter à 2018. Depuis, je ne passe que par Tinder ou Happn, raconte Masha, 31ans. Je me demande dans quelle mesure ces applis n’ont pas pourri ma relation à l’amour. Sur une quarantaine de rencards, aucun n’a abouti à une histoire sérieuse, à part une relation de cinq mois... En fait, j’ai remarqué trois scénarios qui se répètent : soit le mec ne me plaît pas et ça s’arrête là. Soit il me plaît, mais je n’ai plus de nouvelles une fois qu’on a couché ensemble. Soit il coupe tout contact au bout de quelques semaines. Parfois, j’ai l’impression d’être une poupée Barbie qu’on range dans sa boîte quand on a fini de jouer. Je me sens blasée."

Alors qu’on pourrait penser que les applications donnent du pouvoir aux femmes, la balance sembler pencher du côté des hommes. Des notions que la sociologue Eva Illouz explique dans son livre La Fin de l’amour : selon elle, les applis nous ont tous transformés en produits de consommation, mais la libération sexuelle censée en découler semble surtout profiter aux hommes.

Ce joyeux mélange a brouillé le cadre de la rencontre : "Le rapport sexuel –qui marquait la fin du récit de la cour amoureuse– est aujourd’hui le début de l’histoire, rendant ainsi le but de la relation incertain. La sexualisation des relations signifie que le point de départ est sexuel, mais qu’il peut aussi bien en signer la fin."

Fabienne Kraemer remet elle aussi en cause ces outils : "Les célibataires ne savent plus où donner de la tête dans les grandes surfaces de l’amour que proposent les nouvelles technologies. Les rencontres comme les ruptures se banalisent, les sentiments sont tièdes, les tristesses aussi. Une grande majorité de couples ne dure plus et vit l’échec comme une fatalité."

Entre exigences et réalisation de soi

"J’ai envie de rencontrer quelqu’un qui me tire vers le haut, me valorise et m’encourage dans mes projets, raconte Sandra, 29 ans. Il faut que je m’épanouisse dans mon couple autant que dans ma sphère amicale. Jusqu’à présent, j’ai la sensation d’être tombée sur des hommes centrés sur eux et qui ne s’intéressent pas à mes projets –alors que je suis en train de monter ma boîte. À chaque fois, je me dis: “Ce type va te faire stagner.” Du coup, je ne vis que des débuts d’histoires. Mais je préfère ça plutôt que me traîner un boulet."

Selon Fabienne Kraemer, "l’exigence dans la rencontre atteint des sommets. C’est simple : l’autre doit être conforme à nos attentes, sinon il passe son tour. Tout doit être instantané, immédiat : c’est l’impatience érigée en dogme. Surtout, ne pas se sentir frustré de quoi que ce soit, ne pas avoir à patienter !"

Pas de temps à perdre à apprendre à connaître quelqu’un, pas de deuxième chance s’il ne s’est pas montré sous son meilleur jour au premier rendez-vous. Il ne nous correspond pas, point. Au risque de passer à côté d’une grande histoire... À cela s’ajoute la volonté de réalisation de soi à travers le couple, une nouveauté signée générations Y et Z.

Pour Cécile Guéret, "le couple est vu de manière autocentrée, au service de notre propre développement personnel. Au-delà de la satisfaction de nos désirs, nous attendons désormais d’un partenaire qu’il incarne la sécurité et la possibilité de nous affirmer. Le couple n’est plus uniquement la valeur refuge, incarnant la stabilité, mais le lieu d’une évolution, voire du renouvellement permanent de soi. Or la rencontre s’avère d’autant plus difficile qu’elle est investie de toutes ces attentes".

Une crise qui nous relie ?

Et si la crise sanitaire et économique actuelle changeait la donne ? "Je constate un grand besoin de réinvestir les relations, affirme Cécile Guéret. Mes patients disent être à la recherche de relations nourrissantes. Ils quittent peu à peu les sites de rencontres, arrêtent de “dater” et souhaitent un engagement sincère. Ils accordent à nouveau de l’importance au cercle proche pour se rencontrer, comme les amis d’amis, le voisinage, les collègues.

Peut-être que c’est éphémère, mais je crois qu’il y a une vraie tendance à vouloir prendre son temps. On commence à sortir de la frénésie du “date” et tout ce que ça englobe : zapping, catégorisation de la relation, a priori... J’ai la sensation que la découverte et la séduction se feront désormais davantage sur le long terme." Une façon plus consciente de vivre la rencontre, où tomber amoureux deviendrait la meilleure façon de traverser les coups durs.