6 personnes sur 10 pensent régulièrement à leur premier amour et 4 sur 10 nourrissent toujours des sentiments pour lui ou elle, selon une étude britannique publiée en 2020. C’est un fait : le premier amour laisse souvent une empreinte indélébile et incomparable. Comment la première relation amoureuse nous construit-elle ? Influence-t-elle nos amours à venir ? 

Le premier amour, premiers émois et découvertes

«Toute première fois est marquante», explique d’emblée Géraldyne Prévot-Gigant, psychopraticienne, spécialiste de la relation amoureuse et autrice de La force de la rencontre paru aux éditions Odile Jacob. Pour la spécialiste, le premier amour s’inscrit dans un contexte particulier, à savoir la période de l’adolescence. «C’est une période où on est très perméable à tout ce qui nous arrive, où nous n’avons pas encore la maturité due aux expériences, donc on est un peu plus à vif. Les événements vont laisser une trace en nous, qu’elle soit bonne ou mauvaise, une trace profonde et durable», précise-t-elle. 

«J’avais 18 ans, c’était un véritable coup de foudre. C’était une relation passionnante et passionnée, c’était magique», se remémore Isabella, 28 ans. «Aujourd’hui, je suis mariée et mon mari est comme Kévin, insouciant, libre, il vit pour ses passions. Je pense souvent à Kévin», avoue la mère de famille. Si le premier amour bouleverse autant, c’est parce qu’il marque le début de notre vie sentimentale. Il devient une référence, un point de comparaison. «C’est le premier événement qui est la source, analyse Géraldyne Prévot-Gigant. Cette relation peut créer une sorte de tonalité similaire dans nos rencontres suivantes, et c’est comme ça que commencent parfois les cycles de répétition.»

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L’idéalisation du premier amour

Certains cherchent à revivre les sensations du premier amour. C’est le cas de Sabrine, 25 ans, qui est restée en couple 3 ans avec son premier copain. «J’avais 17 ans, on s’est rencontrés au lycée, on se tournait beaucoup autour puis on s’est mis ensemble à mon entrée à la fac. Je me disais que c’était l’homme de ma vie, on avait plein de projets ensemble, on partait en voyage, je connaissais sa famille. C’était vraiment mon meilleur ami», confie-t-elle.

Le premier amour est empreint de nouveauté et surtout, d’intensité et de magie. Une première relation passionnée qui laisse aujourd’hui à Sabrine le sentiment que toute autre relation est ennuyeuse ou fade. «On s’entendait sur tous les points, on rigolait beaucoup, on pouvait passer des jours et des jours ensemble sans se lasser. Maintenant, tout ce qui n’est pas fusionnel, tout ce qui ne me transcende pas en amour, je le rejette», admet la jeune femme. «Les personnes qui ont sublimé la relation ou qui n’ont pas fait le deuil de celle-ci vont chercher à revivre la même chose avec d’autres», observe Géraldyne Prévot-Gigant. 

«J’ai une image de l’amour un peu idéalisée, fantasmée. Une relation tempérée ne m’intéresse pas», reconnaît Sabrine. La jeune femme n’a pas eu de relation sérieuse depuis la fin de son premier grand amour. «J’en ai eu une seule, une relation pansement, juste après lui». «On va chercher, inconsciemment, à résoudre l’énigme. On va chercher à retrouver ce qu’on n’accepte pas d’avoir perdu, à ce que se passe ce qui ne s’est pas passé la première fois. Soit on fait en sorte que l’histoire soit différente, soit on essaie systématiquement de revivre la même chose, parce qu’on ne connait que ça, parce que ça nous rassure ou parce que ça fait écho à nos croyances, à nos histoires», détaille la psychopraticienne. 

Les schémas de répétition du premier amour

Le premier amour peut laisser une trace plus douloureuse et moins agréable que la magie et l’insouciance des premières fois. Sara, 28 ans, a vécu une première relation abusive qui laisse des marques dans sa vie amoureuse. «C’était le mec parfait à mes yeux. Tout s’est détérioré durant la première année de la relation. Il commençait à être plus que violent avec moi dans les mots, dans les actes, dans les gestes. Il m’a coupé du monde, plus d’amis, plus de famille, j’avais arrêter la fac car je n’arrivais plus à gérer cette emprise et cette tension, je ne pouvais parler a personne. Je suis restée 4 ans et demi avec cette personne», raconte-t-elle. En couple et heureuse, elle garde, malgré tout, dix ans après des séquelles. «J’ai des blessures, des maux en moi qui ne s’effaceront pas. Des TCA (troubles du comportement alimentaire) que j’ai développé et qui remontent parfois à la surface. Un manque de confiance en la personne que j’aime qui reste, même si c’est minime. Le pire, c’est que je n’arrive pas à me pardonner de n’être pas partie plus tôt». 

Emma*, 28 ans, a elle aussi eu une première relation toxique. «Rapidement, son caractère de dominant a pris le dessus : il m’humiliait souvent en public pour montrer aux autres que j’étais sa chose. Je me disais que c’était normal et qu’il voulait juste marquer son territoire. Puis très vite, ça s’est dégradé. Il me faisait croire qu’il me trompait, que j’étais moche, pas assez “bonne”», se souvient-elle. «Il a été tout ce qu’il ne faut pas être, et a fait surgir une partie de moi que je connaissais pas, qui n’est jamais revenue et que je déteste».

Pour Géraldyne Privot-Gigant, le premier amour participe aussi à la construction d’une bonne ou d’une mauvaise estime de soi. «La façon dont on a été désiré, aimé, sublimé, ou rejeté et abandonné, va conditionner la personne dans son rapport à elle-même. Si on a été trompé, ghosté, trahi, humilié, ça va laisser une trace et c’est important d’en prendre conscience». «J’ai souvent répété le pattern du bad boy, du mec qu’il faut essayer de soigner, qu’il faut aider à aller mieux. J’ai fréquenté des hommes torturés qui avaient besoin d’attention, que ma compassion et mon altruisme, utilisés à mauvais escient, pouvaient combler», confie Emma, qui avoue avoir mis du temps à sortir de ce schéma de répétition

«Quelle que soit la cause, il y a comme une sorte de système inconscient qui illustre qu’on ne choisit pas certaines personnes par hasard. On va choisir celle qui va faire écho avec notre premier amour», indique Géraldyne Prévot-Gigant. 

Sé détacher de son premier amour pour s’épanouir dans ses relations

Quand on fait l’expérience d’un lien destructeur, on en garde des blessures, et on développe des mécanismes de défense. «J’ai énormément de mal à faire confiance, je suis trop sur mes gardes et je gâche mes relations car j’essaye d’avoir deux coups d’avance au lieu de lâcher du lest et juste admettre qu’on ne décide pas de tout en amour», explique Emma. Mike, 22 ans, a, quant à lui, du mal à se pardonner les erreurs commises avec son premier véritable amour. «Cette relation laisse en moi un sentiment de culpabilité absolument incommensurable, puisque je suis à l’origine de rupture. Un sentiment de culpabilité accompagné d’une remise en question perpétuelle sur mes facultés à être heureux et rendre heureuse une fille sur la durée».

Rester attaché à ce souvenir peut nous enfermer dans un regret sans fin, qui nous empêche d’aller de l’avant. Pour apprendre à se défaire de l’image de son premier amour, capable de dicter nos attentes, un travail psychologique avec l’aide d’un·e thérapeute est nécessaire. «La prise de conscience ne suffit pas, elle libère énormément et prépare le terrain pour ensuite poser des nouveaux comportements et avoir un rapport à soi, aux autres et à l’amour différent. Cela permet de s’autoriser à aller vers la nouveauté», souligne Géraldyne Prévot-Gigant.

D’ailleurs, la psychopraticienne pose systématiquement la question du premier amour aux patient·es qui viennent la voir pour des problématiques amoureuses. «Je ne fais pas l’impasse sur ça, parce qu’il y a vraiment une information primordiale qu’il faut aller regarder si on veut aider la personne à comprendre son schéma amoureux, à comprendre ce qu’elle met en place inconsciemment».

Pour autant, comme le rappelle la spécialiste, le premier amour ne détermine pas toute notre vie sentimentale. «Comme tout expérience qui laisse son empreinte, le travail sur soi permet d’en garder seulement le souvenir et non plus quelque chose d’imprimé en soi qui va nous conditionner».

*Le prénom a été modifié
Merci à Géraldyne Prévot-Gigant, psychopraticienne, pour son expertise