Prend-t-on vraiment le temps de créer sa propre sexualité ? Pas celle communément induite, mais celle qui nous ressemble au plus haut point ? Pour beaucoup, la réponse est non. C'est pour cela que la gynécologue Laura Berlingo a écrit un livre, à la limite du plaidoyer : "Une sexualité à soi - Libérée des normes" (ed. Les Arènes). 

Quotidien, charge mentale, représentations, injonctions : pour elle, "on n’a pas d’espace pour penser sa sexualité". Voici le temps de créer cet espace, et quelques clés pour le faire. 

Se libérer des normes pour forger sa propre sexualité

"Avoir une sexualité à soi c’est prendre conscience que cette sexualité évolue dans une société, et qu’il y a plein de choses qui ne sont pas que du ressort individuel et qui sont en lien avec la société dans laquelle on évolue, donc des normes, des injonctions, une sexualité reproductive obligatoire, le patriarcat, etc.", explique Laura Berlingo.

Ainsi, pour elle, il y a un système, plutôt défavorable aux femmes d’ailleurs, dans lequel on est inscrit, et il est intéressant de prendre du recul pour savoir ce qu’individuellement, on peut faire pour changer ça.

Avoir cette vision globale (the all map) est indispensable pour se libérer d’une certaine pression, celle de se dire : c’est de ma faute si….si je n’arrive pas à jouir, si je ne prends pas de plaisir avec cette pratique, etc.

"Les raisons extérieures des blocages, des échecs sont nombreuses : ambiance dans laquelle on a grandi, tabous qu’on peut avoir, partenaire qu’on peut avoir, etc.", assure Laura Berlingo. Ainsi, se forger une sexualité à soi, ce n’est pas tellement une "question de responsabilité individuelle, mais plus de capacité d’agir".

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Repenser son imaginaire érotique pour construire une sexualité à soi

Après ce petit bilan de ce qui pèse sur l’ensemble des membres d’une société, il est intéressant de se demander ce qui pèse sur soi, personnellement, et ce qui nous contraint au quotidien.

Les pistes sont nombreuses, mais Laura Berlingo invite à se pencher sur notre imaginaire érotique, et se questionner sur ses désirs.

L’un des discours en ce moment, c’est la sexualité positive : c’est identifier ses désirs et ne pas être passif, c’est prendre activement ses désirs en main et vouloir les réaliser, analyse-t-elle. "Mais ces désirs, d’où viennent-ils ? s'interroge-t-elle. On nous a appris à les créer."

Elle prend l’exemple d’un lieu commun : le désir d’un homme qui te plaque contre un mur et qui a envie de toi. "On nous a appris à trouver ça positif et désirable. On intériorise que ça doit être ça le plaisir masculin (vouloir nous plaquer contre un mur), et ça doit être ça le désir féminin (être plaquée), qu'on doit être désirée. Or, ça participe à un truc plus global : ses désirs, ils sont construits aussi avec la culture du viol, et l’érotisation de la violence (sexuelle) existe beaucoup dans les représentations."

La pornographie, la culture mainstream, les choses vues dans notre jeunesse ("ça passe aussi par la forte poitrine de la boulangère", illustre Laura Berlingo) crée un imaginaire. La gynécologue invite à se demander si c’est vraiment ça, ce qu’on aime, ce qu’on trouve désirable ou non.

Elle propose également de décaler un peu le regard pour sortir également de "cette représentation hétéronormée du rapport sexuel : préliminaires, pénétration, éjaculation". 

Le désir et la performance en question pour une sexualité à soi

Deux héritages ont une influence aujourd’hui, selon Laura Berlingo. Dans les années 1970, la révolution sexuelle a amené le message : jouir sans entrave. "Être une femme heureuse et épanouie, c’est être une femme libérée sexuellement, et être une femme libérée sexuellement, c’est avoir beaucoup de partenaires, et jouir beaucoup avec eux", analyse-t-elle.

Ensuite, il y a l’héritage de la performance, développée dans les années 1990 et 2000. Pour la gynécologue, "le porno, les magazines féminins, etc, d’autres choses ont véhiculé cette idée de performance dans le sexe, de course à l’orgasme". D’abord, avec cette idée que sexe = pénétration. Ensuite on estimant que, parce qu'on parle enfin du clitoris, il faut absolument jouir grâce à lui. Mais aussi en stigmatisant les personnes qui n'ont pas de sexualité, surtout si elles sont dans une relation. 

Avoir une sexualité à soi, c’est "se permettre parfois dans la vie que le sexe soit complètement secondaire, qu’on n’ait pas envie de jouir, qu’on ait envie d’avoir des relations d’amour, avec des personnes proches, pas forcément sexuelles : et c’est aussi ça la libération sexuelle." C’est être libre dans ses relations, être libre de ne pas avoir envie de jouir.

C’est aussi arrêter de penser le nombre de rapports sexuels comme baromètre du couple. "Il y a pleins de moments dans la vie, parce que ça fait longtemps qu’on est avec quelqu’un, qu’on est en train de passer un concours, qu’on a un beau projet sur lequel on travaille, où le sexe est secondaire".

Assumer ce non-désir, c’est aussi porter une réflexion sur le consentement. Il a fallu très longtemps pour autoriser une femme à dire non, puis pour comprendre que le non s’exprime de différentes manières, verbales, physiques, via des stratégies de fuite, etc.

Il faut maintenant interroger les rapports de domination entre les personnes : "il y a des femmes qui peuvent dire oui par amour, parce qu’on lui doit bien ça, parce qu’on est amoureuse, livre Laura Berlingo. En a-t-on vraiment envie ou est-ce qu’on consent pour lui ? L’amour et les mécanismes de violences sont au cœur du questionnement pour construire sa propre sexualité".

Quelles inspirations pour construire sa propre sexualité ?

Bien sûr, il n’est pas facile de sortir des schémas qu’on nous a toujours présenté. Voici quelques moyens et supports pour s’inspirer.

L’échange est l’une de vos plus grandes forces. Avec les femmes, avec le ou la partenaire, avec tout ceux qui offrent un environnement sécurisant.

Ouvrir cette discussion, c’est possible in real life, mais désormais aussi sur Internet, notamment à travers les réseaux sociaux. "On est passé des groupes de parole, avant même la création des plannings familiaux, dans les années 1970 à une parole libérée notamment via des comptes Instagram qui réunissent des centaines de milliers de personnes", se réjouit Laura Berlingo.

Ils sont là pour vous aider à piocher à travers chiffres, témoignages, schéma, expériences pour vous trouver ou retrouver.

La diversification des sources, c’est la clé. Il y a les réseaux sociaux, mais aussi de nombreux autres supports. Certaines femmes auront besoin d’aller plus loin que les magazines ou livres grand public : "des magazines plus confidentiels, je pense par exemple à Gaze qui met en avant le regard féminin et non masculin (male gaze) pour la représentation des corps, des désirs, et je pense aussi au porno féministe par exemple", soumet Laura Berlingo. Se pencher vers la culture queer, vers la culture LGBT+ de manière générale est aussi une ouverture possible.

Il y a aussi le fait de se retrouver seule, sans magazine, sans téléphone, sans ordinateur, et de s’explorer. C’est regarder son corps, avec un miroir ou pas, y compris l’intérieur de son vagin (ce qu’on appelle l’auto-observation, une branche de l’auto-gynécologie), c’est se toucher, c’est connaitre son anatomie, c’est tester la masturbation féminine ou tout un panel de pratiques auto-érotiques.

Avoir une sexualité à soi, c'est prendre le temps. C'est se libérer.