La vie de couple est encore aujourd’hui bien souvent considérée comme la norme. Une forme de réussite sociale, relayant le célibat au statut d’échec de sa vie personnelle.

Et pourtant, le nombre de célibataires ne cesse de croître en France. Celui-ci aurait doublé ces 40 dernières années et, selon les chiffres 2019 de l’INED, une personne sur cinq âgée de 26 à 65 ans déclare aujourd’hui ne pas être en couple. De façon plus globale, une personne sur deux a déjà expérimenté une période de célibat d’au moins une année dans sa vie.

Le célibat par choix, fréquent mais peu valorisé

Si le célibat est donc aujourd’hui fréquent, il n’en est pas pour autant valorisé. Les idées reçues sur la vie de célibataire ont la peau dure et pénalisent celles et ceux qui font le choix de vivre seul(e)s. Parmi ces idées : le célibat n’est pas un choix, mais quelque chose que l’on subi. Et ce, peu importe le discours de la personne concernée.

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Chloé, parisienne de 29 ans, en a pourtant bel et bien fait son choix. « Je suis célibataire depuis bientôt trois ans et j’ai fait plusieurs rencontres amoureuses ces dernières années qui auraient pu aboutir à une relation, mais j’ai fait le choix de ne pas donner suite. Je préfère être célibataire car je n’ai pas rencontré la personne qui me donne envie de renoncer à mon célibat. Car oui, j’ai tendance à voir le couple comme un renoncement, comme une perte de liberté et d’indépendance », explique la jeune femme, journaliste de profession.

Il y a une vraie pression sociale, venant de la famille, des amis, collègues

Un avis partagé par Julie, commerciale originaire de Lourdes : « J’ai choisi de ne pas céder à la pression sociale et de prendre le temps de faire une belle rencontre. J’ai refusé de nombreuses situations qui auraient pu me conduire à une relation de couple car je ne le sentais pas. Je ne revendique pas vouloir être célibataire à tout prix, je pense simplement, et j’y crois fermement, que pour quitter le confort du célibat, sans contraintes, sans comptes à rendre, il faudra vraiment que la personne soit incroyable. »

Revendiquer haut et fort son célibat reste aujourd’hui parfois ardu dans notre société. En cause : le poids de la tradition, de la « norme », qui ne laisse pas de place à l’individu. « On a grandi avec des représentations culturelles qui nous indiquaient une suite logique : les études, le stage, le CDD, le CDI, avec en parallèle la rencontre d’un homme vers 25 ans, le mariage vers 27 ans et dans la foulée un premier bébé et un achat immobilier. Qui ne suit pas ce chemin est alors perçu comme quelqu’un en échec », regrette Chloé.

« Il y a une vraie pression sociale, venant de la famille, des amis, collègues, et parfois mêmes des inconnus croisés à un événement, une soirée. Comme si c'était anormal d'être célibataire. Les plus ‘suspects’ étant les célibataires ‘de longue durée’, c'est à dire plus de 2 ans. Pourquoi 2 ans ? Parce 50% des célibataires se remettent en couple dans les 2 ans qui suivent leur dernière rupture », ajoute Louisa Amara, créatrice du podcast Single Jungle, qui donne la parole aux célibataires.

Le célibat face à la pression de la société

Une norme dont il est d’autant plus difficile de s’extirper quand on est une femme, tout spécialement autour de la trentaine. Car, bien que les mentalités évoluent petit à petit, les femmes sont encore aujourd’hui bien souvent réduites à leur capacité à enfanter. Et qui ne respecte pas la tradition est alors targuée d’égoïste ou d’immature.

« Je pense que beaucoup de gens ne croient pas qu’on puisse être épanouie tout en étant célibataire. Plus le temps passe, plus on associe les femmes célibataires à des femmes ‘trop exigeantes’ ou ‘trop égoïstes’ », regrette Chloé. « Les femmes célibataires seraient beaucoup moins stigmatisées, critiquées s'il n'y avait pas cette pression à devenir mère, comme l'évoque Fiona Schmidt dans son livre Lâchez nous l'utérus, en finir avec la charge maternelle. Comme si leur célibat remettait en cause un ordre établi. Alors que non, on demande juste à vivre en paix, que l'on réussisse à trouver l'amour ou pas », précise la podcasteuse Louisa Amara.

Une pression que dénonçait Emma Watson en novembre dernier auprès du magazine Vogue. L’actrice, qui se définit comme étant « en couple avec elle-même », rappelait alors : « Si vous n'avez pas construit de foyer, si vous n'avez pas de mari, si vous n'avez pas de bébé et si vous allez avoir 30 ans, vous n'évoluez pas dans un espace de stabilité et de confort, il y a toutes sortes d’angoisses qui pèsent sur vous (...) Je ne croyais pas à l’ensemble du baratin ‘je suis heureuse célibataire’. Je me disais que c’était n‘importe quoi. Ça m’a pris beaucoup de temps, mais maintenant je suis très heureuse célibataire. »

Reconnaître le célibat comme un choix épanouissant

Ce sont des prises de paroles comme celle d’Emma Watson qui aideront à faire bouger les lignes. Mais aussi le fait de proposer d’autres modèles que celui de Bridget Jones, pour qui épanouissement ne rime qu’avec relation amoureuse, encourageant au passage une vision d’un célibat subi et non voulu.

Là encore, les choses évoluent progressivement et la pop culture fait de plus en plus souvent la part belle aux héroïnes seules et heureuses. Une façon de rappeler que le couple n’est pas une fin en soi. Il était temps. Malgré tout, « il y a toujours ce réflexe de vouloir voir le/la célibataire trouver l'amour et se mettre en couple dans de nombreuses oeuvres culturelles. Comme si c'était la seule et unique manière d'être heureux/se », regrette la podcasteuse Louisa Amara.

La pop culture fait de plus en plus souvent la part belle aux héroïnes seules et heureuses

Si les choses n’évoluent que lentement, de nouveaux modèles sont heureusement désormais à notre disposition. « L’ère Bridget Jones est révolue. On ne veut plus voir des ‘célibataires endurcies’ qui finissent par se marier avant d’atteindre ‘l’âge limite’. On félicite par exemple le film ‘Célibataire, mode d’emploi’, dans lequel l’héroïne ne finit pas par se remettre avec son ex ou un nouveau prétendant. Au lieu de ça, elle décide de se mettre en couple avec elle-même. Parce qu’à ce moment-là de sa vie, c’est la meilleure décision qu’elle puisse prendre pour être heureuse », rappelle Laetitia Azi, autrice de l’ouvrage Célibataire Heureuse, à paraître aux Editions de l’Opportun le 28 mai 2020.

Même chez Disney, souvent critiqué pour sa vision rétrograde des femmes, Blanche Neige a bien changé et n’attend plus patiemment que son prince finisse enfin par se pointer. « On est passé de ‘La Belle au bois dormant’ dont le consentement était inexistant à ‘La Reine des neiges’ dont les aventures ne reposent pas sur sa rencontre avec un prince. A travers le cinéma ou la musique, on éduque les jeunes filles à ne pas suivre le chemin de ‘la parfaite petite amie’ à laquelle on a eu le droit pendant des décennies », applaudie l’autrice.

Les avantages de la vie de célibataire

Si le célibat n’est que peu valorisé aujourd’hui dans notre société, ses avantages sont pourtant nombreux. Quand on interroge les principales concernées, c’est bien souvent la notion de « liberté » qui tire son épingle du jeu. « Mon célibat m’apporte une liberté totale que je savoure. Je n’ai de comptes à rendre à personne, j’ai tout le temps qu’il me faut pour développer mes projets professionnels, et voir beaucoup mes amis. Bien sûr, une relation saine permet sans doute tout cela, mais pour l’instant l’occasion ne s’est pas présentée », confie pour sa part Chloé.

Même son de cloche chez Julie, qui profite d’une « liberté totale » au quotidien : « C’est aussi décider de tout sans compromis : ce qu’on mange, comment on décore son appartement, où on va en vacances et quand. En étant célibataire, on ouvre un dialogue avec soi-même, en s’interrogeant sur ce que nous, et nous seule, voulons vraiment. Je reste convaincue que tout le monde dans sa vie devrait au moins une fois vivre seul(e), voyager seul(e), aller au restaurant seul(e), aller au cinéma/au musée seul(e)... Se retrouver seul(e), même quand on est en couple, est bénéfique selon moi. »

En étant célibataire, on ouvre un dialogue avec soi-même

Laetitia, elle, nous confie « n’avoir jamais été aussi heureuse » que célibataire. Pour elle, le célibat serait presque un passage obligé pour s’épanouir par la suite : « Choisir d’être célibataire peut en réalité être l’une des meilleures décisions dans la vie d’une femme. La raison principale est qu’on passe enfin du temps seule avec soi-même. On apprend à se connaître sans l’influence de quelqu’un d’autre dans notre vie. »

Se connaître soi, mais aussi apprendre à s’aimer, loin d’une relation tournée vers l’extérieur. « Un autre bénéfice, sûrement celui qui fait le plus de bien, est qu’on apprend à s’aimer. Pas à travers les yeux de quelqu’un d’autre mais les nôtres », précise l’autrice de Célibataire Heureuse. « Et pour le côté pratique, le célibat nous responsabilise. On fait face à certaines situations sans quelqu’un pour nous aider à gérer. On peut s’étonner des choses qu’on finit par apprendre à faire car personne n’est là pour le faire à notre place. »

Pour Chloé, être célibataire c’est également se débarrasser de bon nombre d’angoisses liées au couple : « Être célibataire, c’est aussi ne pas avoir ce poids constant de l’inquiétude vis-à-vis d’un autre : attendre un sms, un bonne nuit, un bonjour... Se demander pourquoi il ne répond pas, être dans le manque, dans l’attente. Quand je suis amoureuse, c’est très intense, et ça a tendance à me faire perdre mes objectifs de vue. Alors pour l’instant, je me concentre sur moi, sur mon épanouissement personnel. »

Le mariage n’est plus en tête de notre bucket list

Revendiquer son célibat, c’est aussi une façon de revendiquer son droit à être seule. Une liberté dont jouissent les femme que depuis finalement peu de temps, une micro seconde à l’échelle de l’humanité. « Les femmes ne demandent plus la permission. Le couple n’est plus la priorité c’est secondaire pour beaucoup de femmes aujourd’hui car elles ont autre chose à faire tout simplement. Devenir entrepreneure, parcourir le monde, étudier, faire la fête... Le mariage n’est plus en tête de notre bucket list », souligne Laetitia. Pour l’autrice, « la seule relation qui doit compter dans notre vie, c’est celle qu’on a avec nous-même. C’est ici que commencera le bonheur, qu’on décide d’être célibataire ou en couple. »

Cultiver son célibat revient ainsi à cultiver sa relation avec soi-même, à apprendre à se connaître, à se choyer et à s’aimer. Et à, pour paraphraser Emma Watson, donc finalement être en couple avec soi-même. Une façon terriblement efficace de se construire et d’avancer, que l’on décide de se lancer un jour dans une relation, ou non.