« J’ai été enceinte pendant 8 semaines. Il n’y avait rien de faux là-dedans. Appelons les fausses couches ce qu’elles sont vraiment, des grossesses arrêtées, des projets d’enfants stoppés net et, parfois, autant de deuils périnataux qu’il faut faire, seul.e.s. Nos fausses couches sont des drames silencieux, des douleurs vécues dans l’ombre ». Comme une femme sur dix, Sandra Lorenzo a vécu une fausse couche. Un événement plus fréquent que ne laisse imaginer le silence qui l’entoure. Dans Une fausse couche comme les autres, la journaliste livre un récit intime et lève le voile sur ce sujet encore tabou.

Une attente interminable avant le diagnostic de fausse couche

Sandra Lorenzo a vu sa grossesse s’arrêter avant la 14e semaine d’aménorrhée, au bout de deux mois. C’est ce que le corps médical appelle une fausse couche précoce, il s’agit du cas de figure le plus fréquent. C’était sa deuxième grossesse. Nageant en plein bonheur, elle s’empresse de partager la nouvelle avec ses proches, bien loin d’imaginer qu’elle pourrait vivre une fausse couche. D’ailleurs, elle n’en avait presque jamais entendu parler.

Dès la première échographie, les soignants se montrent réservés. Mais il lui faudra cinq échographies et une attente insupportable avant d’entendre ce diagnostic : « La grossesse est arrêtée », prononcé par la médecin sans plus d’informations. « Ça a été extrêmement brutal », se souvient Sandra Lorenzo. Le choc est d’autant plus grand que la jeune femme n’a eu aucun symptôme de fausse couche. « Jusqu’au dernier moment, j’ai eu des nausées et des symptômes liés à la grossesse. J’ai vécu ce qu’on peut appeler une “fausse couche silencieuse” ».  

Un manque d’informations dans le parcours de soin

« Quand cette soignante m’a annoncée que la grossesse était arrêtée, c’était un lundi soir et le mardi matin j’étais au travail. J’étais en train de vivre une fausse couche et j’étais dans les transports en commun, dans le RER, et j’allais me rendre au travail comme n’importe quel mardi », s’insurge Sandra Lorenzo. Elle est loin d’être la seule dans ce cas. Les médecins ne proposent pas toujours d’arrêt maladie après cet événement pourtant traumatisant, et il est difficile pour les femmes d’en demander un. « C’est fatigant d’avoir à faire la démarche de prendre rendez-vous. (…) Il y a peut-être des femmes qui n’auront pas besoin d’être arrêtées longtemps, on ne vit pas toutes les mêmes choses. Mais on peut quand même partir du principe que la fausse couche, c’est une épreuve et que ne serait-ce que physiquement, on a besoin de temps après. »

L’autrice déplore le manque d’informations et d’explications dans le parcours de soin après une grossesse arrêtée. « Tout va bien se passer, ne vous inquiétez pas madame. Ce sera comme de grosses règles », a simplement répondu la médecin à ses nombreuses questions sur ce qui adviendrait après. Le surlendemain, elle appelle sa sage-femme pour lui expliquer la situation. « Elle était atterrée de savoir que j’avais été si peu accompagnée », raconte-t-elle. Par la suite, elle s’est néanmoins sentie plus écoutée et rassurée. Elle se rend à l’hôpital et choisit de subir une aspiration plutôt que d’opter pour la voie médicamenteuse. Après cette intervention, elle demande un arrêt de travail supplémentaire. « J’étais effondrée. Mon monde s’était effondré. J’avais été enceinte en début de semaine, je ne l’étais plus, mon ventre était vide. »

La fausse couche, un événement vécu dans la solitude

À la peine et à la souffrance vient s’ajouter la culpabilité. Celle de l’avoir dit à des proches avant les trois mois et de devoir leur annoncer, celle de ne pas avoir mené cette grossesse à terme… « Ce n’est pas ma faute et pourtant je ne peux m’en empêcher. J’ai l’impression de les priver d’un bonheur que je leur avais promis », écrit l’autrice dans son ouvrage. C’est la raison de ce fameux tabou des « trois premiers mois de grossesse », au cours desquels il convient de ne pas trop ébruiter la nouvelle. Entourée par son mari, sa famille et le corps médical, Sandra Lorenzo se retrouve pourtant seule face à la douleur. « Malgré toute l’écoute dont j’ai pu bénéficier, c’est un processus qu’on vit seule », confie-t-elle. « C’est tout un chemin de deuil qu’il est difficile d’accompagner de bout en bout. »

Si Sandra Lorenzo s’estime chanceuse d’avoir été épaulée par son mari et le remercie pour ce soutien sans faille, elle explique toutefois qu’ils n’ont pas vécu la même chose. Contrairement à elle, son compagnon a rebondi beaucoup plus rapidement après la fausse couche et a tout de suite eu besoin de se projeter sur l’après. Forcément, cela a renforcé le puissant sentiment de solitude de la journaliste. « Tout le monde sait ce que ça veut dire une fausse couche, tout le monde a conscience de ce risque, et personne ne sait ce qu’il faut faire quand ça s’arrête », constate Sandra Lorenzo. Pour la journaliste, il faut pouvoir en parler. « Ce silence s’explique beaucoup par la gêne que les gens peuvent ressentir. C’est un sujet qui met mal à l’aise, moi la première d’ailleurs. La mort n’est pas un sujet dont j’ai envie de parler tous les jours. Mais il faut se forcer. (...) En reconnaissant l’émotion que ça peut représenter pour une personne dont la grossesse vient de s’arrêter, on permet aux femmes de mieux vivre cette perte ». Elle encourage les proches à proposer spontanément leur écoute dans ces moments et tendre la main.

La société minimise l’impact psychologique de la fausse couche

Encore taboue et minimisée par la société, la fausse couche même précoce peut engendrer chez de nombreux parents une souffrance d’une profonde intensité. Selon les résultats d’une étude prospective réalisée auprès de 650 femmes par l’Imperial College de Londres, et publiée en 2019 dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology, près d’une personne sur trois ayant vécu une fausse couche précoce se trouverait dans un état de stress post-traumatique pouvant perdurer, pour une femme sur six, jusqu’à neuf mois. Des symptômes d’anxiété modérée à sévère seraient par ailleurs rencontrés par 25 % des personnes interrogées et perdureraient après neuf mois chez 17 % d’entre elles. De même, 10 % et 6 % des femmes souffriraient de dépression modérée à sévère après respectivement un mois et neuf mois. 

Ces chiffres viennent rappeler la nécessité d’améliorer la prise en charge, notamment sur le plan psychologique, des couples qui traversent cette épreuve. Sandra Lorenzo évoque le cas de la Nouvelle Zélande, qui a instauré un congé spécial de trois jours pour les couples ayant vécu une fausse couche. Notre société peine à reconnaître cet événement comme pouvant être particulièrement traumatisant. Il en résulte un manque de compréhension, d’explication et de soutien pour de nombreuses femmes. « Moi qui pensais être suffisamment informée, savoir comment mon corps fonctionne, je ne sais pas concrètement comment une fausse couche se passe », regrette l’autrice. Sans remettre en cause le travail qu’ils font, il est nécessaire de mieux former les soignants, ne serait-ce que pour éviter les maladresses. Combien de temps vont durer les saignements ? Quand peut-on retrouver une vie sexuelle normale ou essayer de tomber enceinte ? Toutes ces questions doivent avoir une réponse. « C’est à nous d’appeler à l’aide, d'en chercher, de prendre rendez-vous. Notre deuil semble faux puisque le chemin pour le vivre n’existe pas », écrit Sandra Lorenzo.

Écrire pour faire exister cette fausse couche

 « Il faut que ces fausses couches existent et il faut que ces grossesses existent », déclare Sandra Lorenzo. Si elle n’en éprouvait pas le besoin tout de suite, la jeune femme est allée voir sa psy en « prévention ». Cette dernière lui conseille d’écrire une lettre à ce projet d’enfant, ce qu’elle avait imaginé autour de cette grossesse. Peu à l’aise avec cette idée, elle finit par se laisser tenter, après avoir appris la grossesse d’une amie, ce qui rouvre sa plaie. « Je sens que je porte un poids sur mes épaules qui est énorme, une tristesse dont je n’arrive pas à me défaire », raconte-t-elle. « J’ai écrit une lettre avec deux règles très importantes qui changent tout à cet exercice : ne pas relire la lettre et la détruire tout de suite. »

Pour Sandra, la guérison est aussi passée par l’écriture, sur son compte Instagram d’abord, puis avec son livre. « Je l’ai fait pour ne pas oublier, et je l’ai fait pour que cette grossesse existe. Ça m’était insupportable de me dire que cette grossesse partait en un claquement de doigts et n’avait aucun sens », confie-t-elle. Sandra Lorenzo est retombée enceinte un mois après sa fausse couche, et a donné naissance à un deuxième petit garçon, un « enfant arc-en-ciel » comme l’appellent certains parents. « Il n’a rien remplacé. Je suis convaincue que ce n’est pas un enfant là pour combler quelque chose. Mais tout ça a fait que la vie l’a un peu emporté sur le reste », sourit-elle. Aujourd’hui, deux ans après cette fausse couche, elle n’oublie rien de cette épreuve. « J’ai réussi à regarder cet événement avec moins d’affect. Je n’y pense plus avec de la douleur, même s’il y a toujours un peu de tristesse. »