Créée en 2012, Tinder a fêté ses 10 ans cette année. Une décennie de « swipes » et de « matchs » qui a fait profondément évoluer les rencontres amoureuses.

Dix ans de Tinder : la fièvre du swipe 

Lorsque Tinder se lance aux États-Unis en septembre 2012, il ne lui faut pas beaucoup de temps pour ringardiser les sites de rencontre nés sur ordinateur. « Au départ, la force a été de disrupter le marché de la rencontre en surfant sur la vague des applications », analyse la sociologue Catherine Lejealle, autrice de Les coulisses du dating: Tout savoir sur la rencontre en ligne« Ce qui change c’est la cinétique de la rencontre. On télécharge l’appli, on utilise ses infos Facebook et en 2 minutes, on a un match. Cela rend la rencontre immédiate, sur le coup de l’impulsion voire du caprice ».

Jonathan Badeen, l’un de ses cofondateurs, cherche à avoir davantage de « fluidité » pour naviguer d’un profil à l’autre. Alors, quand un jour, raconte-t-il à CNBC en 2017, il essuie son miroir plein de buée en sortant de sa douche, il tient son geste : l’utilisateur ne devra pas cliquer pour décider du sort d’un profil, mais le balayer du doigt, d’un côté ou de l’autre. « L’app est passée d’un swipe par jour à 1 milliard deux ans après sa création », explique Benjamin Puygrenier, porte-parole de Tinder France. Dix ans plus tard, Tinder revendique des pics à 4 milliards de « swipes » par jour et plus de 70 milliards de « matchs » depuis son lancement. « Le swipe est devenu un geste sociétal », déclare Benjamin Puygrenier. 

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En « swipant » sur Tinder, on prend une décision rapide et simple : oui ou non. Ce petit geste ludique du swipe n’est pas sans risque selon Catherine Lejealle : « La tentation est grande de devenir accro aux swipes. Parce qu’en swipant, on récupère des matchs qui remontent le moral, redonnent confiance en soi et boostent l’ego. On se sent aimé. C’est le même phénomène avec les likes quand on poste un contenu sur les réseaux sociaux ou qu’on reçoit un message. Tiens quelqu’un pense à moi. C’est addictif. » Le revers de la médaille ? Une vision consumériste de l’amour. « On est tenté de consommer sans regarder trop rapidement si la personne convient un tant soi peu », explique la sociologue. 

Juliette*, 28 ans, se souvient de l’excitation entourant Tinder lors de sa création. « C’était comme un jeu. Mes amis demandaient à swiper des profils à ma place parce que l’application les amusait », raconte-t-elle. En cela, l’appli marque un tournant : trouver l’amour en ligne n’est plus l’apanage des célibataires désespérés ou des exclus. « Aujourd’hui, on consulte Tinder comme on consulte Instagram », confie la jeune femme. 

Une nouvelle façon d’initier des relations romantiques 

Les applications de rencontres ont créé un espace exclusivement consacré à la rencontre. « Tinder surfe sur un problème sociétal : où rencontrer quelqu’un ? », analyse Catherine Lejealle. Jusqu’à l’arrivée des plateformes, les rencontres amoureuses et sexuelles se faisaient dans des lieux de sociabilité ordinaires : la sphère professionnelle et la sphère familiale ou amicale. « Les applis sont devenues indispensables pour la mise en relation dans nos vies privées et pro, il est alors logique que pour les relations amoureuses, la force d’internet pour la mise en relation de personnes qui évoluent dans le même périmètre soit pertinente », développe-t-elle. 

Dans les colonnes de Libération, la sociologue Marie Bergström abonde : « Les rencontres peuvent se dérouler loin du regard de l’entourage, et cette privatisation est fondamentale. Elle permet aux jeunes d’expérimenter sans avoir à en rendre compte. » Il y a un attrait dans la possibilité de dissocier les rencontres intimes et son cercle social. « En venant sur Tinder, on entre en relation avec des personnes qui ne sont pas dans notre cercle proche et sont totalement différentes de nous », confirme Benjamin Puygrenier. Pauline y a rencontré son amoureux actuel, en 2016. « Au début, on osait pas dire qu’on s’était rencontrés sur une application. Aujourd’hui, ce n’est plus un tabou, c’est le cas pour la plupart de nos amis », confie-t-elle. Le stigmat a disparu et Tinder a participé à ce changement. Désormais, la plupart des personnes assument avoir rencontré quelqu’un sur une application. Pour autant, « certains estiment encore que la rencontre en ligne casse le romantisme », regrette Pauline.

« Tinder donne lieu à de nombreux couples, mariages et bébés. Une rencontre d’un soir peut très bien se transformer en relation durable comme dans les années 50 à 2000, une rencontre en discothèque pouvait se transformer en relation durable », rappelle Catherine Lejealle. 

Miroir grossissant de la société

Outre Tinder, les applications de rencontre ont aussi vu émerger un côté plus sombre. Elise a 27 ans et est sur Tinder depuis plus de deux ans. « Quand j’annonce que je ne veux pas donner suite, je me prends souvent des insultes. Un gars m’a harcelée pendant une semaine en insistant sur WhatsApp et Instagram. » Les auteurs ont moins à rendre compte de leur comportement, comme cela pourrait être le cas dans un contexte de sociabilité ordinaire. Le ghosting est également devenu monnaie courante. Pour Antha, 25 ans, recevoir des messages sur son appartenance ethnique est un événement fréquent. « Je reçois beaucoup de messages disant “D’où viens-tu ?”, “T’es ma première noire !”, “Tu dois avoir de sacrés formes” », détaille la jeune femme. Cette exotisation fait le quotidien des personnes racisées sur les applis de rencontre. À tel point que plusieurs comptes Instagram s’amusent à répertorier les messages les plus lugubres pour mieux les dénoncer. C’est notamment le cas de @femmesnoiresvs_datingapps sur lequel on trouve des captures d’écran de messages qui objetisent les personnes concernées.

Pour Marie Bergström, les applications de rencontre ne sont qu’un miroir grossissant de la société. « La technologie nous révèle plutôt qu’elle ne nous change », dit-elle à nos confrères de Cosmopolitan UK. « Ce ne sont pas les plateformes qui nous rendent racistes ou sexistes. Ils le mettent juste en évidence ». Tinder a renforcé son arsenal de protection et de prévention contre les comportements problématiques, les insultes et les agressions. Aujourd’hui, un algorithme est capable d’analyser les messages envoyés et reçus, de décoder des informations pouvant mener à une interaction toxique. Un premier avertissement apparaît lors de l’envoi – « êtes-vous sûr de vouloir envoyer cela ? » – et un autre à la réception – « est-ce que ce message vous a dérangé ? ». « En tant que marque, on a cette responsabilité de faire en sorte qu’il y ait moins d’expériences négatives et d’offrir une plateforme sécurisée », insiste Benjamin Puygrenier. Le prochain enjeu de l’appli ? « Faire du consentement une priorité pour éveiller les consciences ». 

Les nouvelles attentes de la gen Z sur Tinder

Si Tinder est installée depuis 10 ans, la moitié de ses membres a aujourd’hui entre 18 et 25 ans. L’application est ainsi le témoin de plusieurs étapes : première relation sexuelle, première interaction sociale ou première relation de couple. Il s’agit d’un moment de découverte et d’apprentissage. Louise, 22 ans*, a aussi bien utilisé Tinder pour trouver l’amour, avoir des relations sexuelles ou se faire des amis. « J’ai des plans culs qui sont devenus des amis. Je ne cherche pas à me mettre en couple à tout prix. Lors de mon Erasmus en Espagne, ça a aussi été une manière de m’intégrer là-bas », admet-elle. « Les jeunes ne veulent plus mettre de statut sur leur relation – ce que les américains appellent situationship. C’est peut-être ce qui a changé en 10 ans justement : la perception de la relation amoureuse. La jeune génération veut se découvrir, comprendre qui elle est, affirmer son identité et ensuite, explorer la relation, qu’elle soit amicale, sexuelle ou amoureuse », indique le porte-parole de Tinder. »

Alors Tinder s’adapte et se mue en app de divertissement avec d’autres façons d’explorer les profils et surtout, s’ouvre à la diversité. Depuis 2020, Tinder permet de choisir son orientation parmi neuf proposées (hétérosexuel·le, gay, lesbienne, bisexuel·le, asexuel·le, demisexuel·le, pansexuel·le, queer, en questionnement) mais aussi de l’afficher ou non. De quoi coller à la fluidité des identités de genre et des orientations sexuelles des jeunes d’aujourd’hui, dont Tinder souhaite devenir l’allié. « Tinder annonce 65 millions de matches et propose une évolution intéressante, car elle correspond aux attentes de la gen Z », observe la Catherine Lejealle. La pandémie a largement bouleversé les rapports amoureux. Pour offrir à la jeune génération une expérience plus fun et divertissante, Tinder lance Explore en septembre 2021 avec toute une série de fonctionnalités (blind date, rencontre par intérêts et convictions, rencontre en fonction des intentions...). « C’est intéressant car cela défocalise les critère physiques. On ne mise pas tout sur le physique. On peut imaginer que cela donne de la matière aux échanges et fait correspondre des profils plus proches et moins aléatoires », décrypte la sociologue. 

Que réserve l’avenir à Tinder ? S’il est difficile de savoir à quoi ressembleront les applis de rencontre dans une dizaine d’année, « Tinder et consorts ont de belles années devant eux », selon Catherine Lejealle. Ce n’est certainement pas la fin du dating et de l’amour. « La rencontre suppose malgré tout quelques règles que les candidats à la rencontre découvrent parfois à leurs dépens », conclut-elle.

*Les prénoms ont été modifiés