• Le couple entremetteur
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Ils nous aiment, ils ne veulent que notre bien, ils tiennent mordicus à nous caser et vident systématiquement les fonds de bouteilles dans notre verre en clamant « Aaah, mariée dans l’année ! » Dans les cafés, les restaurants, les boulangeries, les hôpitaux gériatriques, il y en a toujours un pour tapoter le coude de l’autre et lui désigner un garçon du menton. Aussi sec, la sentence fuse : « Oh, il est drôlement mignon, celui-là, ça doit bien être ton genre, non ? » Si le garçon en question n’a pas six yeux et un tee-shirt floqué « Chantez pour Ron Hubbard », on peut s’estimer heureuse. Pas découragés par nos réserves successives, ils demandent ce qu’on a pensé de Rodolphe, celui qui était à la soirée chez eux samedi dernier. Qui ? Rodolphe ? Ah oui, Rodolphe ! Rodolphe ne parle pas un mot de français, il a déjà divorcé quatre fois et il entame actuellement une formation pour devenir trafiquant d’armes.Certes, on est ravie de savoir qu’à chaque soirée chez eux, prévenue ou pas, on rencontrera au minimum un célibataire. Après tout, on ne sait jamais. Seulement, il est un poil déstabilisant de se sentir dévisagée dès qu’on arrive ou de se retrouver à supporter un sauveur du dimanche qui nous prend pour du tout-cuit.

Le système de survie : on définit plus précisément notre type d’homme. Sans aller jusqu’à réclamer un hybride de Clooney et d’Alain Chabat, on affirme un seuil d’exigence (« un garçon sympathique, célibataire, avec un QI supérieur à celui d’un cochon d’Inde »). S’ils n’en ont pas dans leur entourage, pas de problème. Mais dans ce cas-là, qu’ils ne dénichent pas un invité surprise, ça nous épargnera des moments embarrassants. Et que ce soit clair : « Oui, je suis difficile. Pourquoi ? Toi, tu as pris le premier venu ? »

  • Le couple exhibitionniste

Adolescent, on sait bien que le bisou baveux sur la Mobylette ne vaut que s’il est vu par tous les élèves du collège. On se tient la main avec ostentation, même si c’est pas pratique pour s’envoyer un SMS en même temps. Adolescent, c’est mignon. Adulte, c’est pénible. Et pourtant, le couple tout-pour-mon-public a besoin de vous. Pas une minute de dance-floor sans qu’ils confondent le zouk avec une méthode de reproduction innovante, à se demander si le petit ne naîtra pas directement en débardeur trempé de sueur. Et si vous avez pris l’habitude de discuter avec un bloc de limaces-tiens-tu-veux-la-moitié-de-mon-chewing-gum, vous vous demandez ce que ces deux-là peuvent bien faire quand ils se retrouvent dans l’intimité. Neuf fois sur dix, la réponse est : rien.

Le système de survie : on peut leur jeter un seau d’eau ou leur expliquer posément que, là, on est chez le coiffeur, alors ce n’est pas l’endroit. Mais, la plupart du temps, il suffit juste de regarder ailleurs : s’ils s’échinent tant à rentabiliser leur statut de couple en public, c’est que, dans le privé, ils rêvent sûrement de célibat.

  • Le couple fusionnel

Petit cousin du précédent, le couple fusionnel affiche une autre forme d’impudeur : l’exhibitionnisme sentimental. D’abord, ils font tout ensemble : les soirées, le sport, la boulangerie, tout juste si le dentiste peut passer sa fraise sur l’un sans éborgner l’autre. Par ailleurs, ils ont décidé de révolutionner la grammaire française en remplaçant la ponctuation – trop commune – par « mon Roudoudou » ou « ma Pouët Pouët ». Le tout prononcé avec un sourire que même le ministre aux Personnes âgées n’oserait pas.

Le système de survie : deux options. Soit on joue la carte de la sincérité en leur confiant qu’on adore qu’ils nous jettent leur bonheur à la figure, mais, s’ils nous invitent dans le but qu’on se sente exclue, on a déjà les pubs Gillette, merci. Soit on préfère les allusions subtiles et on achète « Mon cœur, mon amour », la chanson d’Anaïs. On la passe à fond en rigolant et en affirmant que c’est bien vrai ça, vous connaissez ce titre ? S’ils n’ont toujours pas compris, on les appelle Pouët Pouët et Roudoudou nous aussi.

  • Le couple qui a retourné sa veste

Au commencement, ce couple était formé de deux personnes distinctes et célibataires. Rien d’extraordinaire à cela, a priori, c’est même très commun. Ces deux célibataires, donc, fustigeaient les petits couples et leur manie de s’inviter entre eux. Là, ça fait un an que vous ne les avez pas vus, parce qu’organiser un dîner avec un nombre impair, c’est tout un tintouin pour dresser la table, en plus une fille seule, on ne sait jamais, des fois que ça repartirait avec un des maris, faudrait refaire le carnet d’adresses. Quant à nos soirées à nous, ils s’éclipsent à 22 h 30, et ça plombe.

Le système de survie : toute personne ayant été amoureuse au moins une fois comprendra qu’au début l’activité la plus passionnante consiste à manger en tête à tête et aller se coucher le plus tôt possible, tiens dans la cuisine c’est moins loin. On ne leur en veut pas, qui sait comment nous réagirions dans cette situation, et on se fait une raison : ce couple est perdu pour la fête.

  • Le couple qui n’en pense pas moins

Attablée devant une pizza oignons-quatre fromages (la solitude présente quelques menus avantages), on papote avec Sylvie et François, un couple d’amis charmants. « C’est vrai que, passé un certain âge, ça devient problématique de trouver des types célibataires », lance François. Plutôt que de relever cette histoire de certain âge, on laisse Sylvie ajouter : « C’est vrai que tous les mecs bien sont déjà pris. Sincè­rement, je compatis. D’un autre côté, il ne faut pas s’inquiéter, ça vous tombe toujours dessus quand on s’y attend le moins. » On acquiesce, on se ressert en huile pimentée et on les imagine d’avance dans leur salle de bains, ce soir : François, brosse à dents en main, Sylvie, Demak’up collé à l’œil, se demandent si, vraiment, on se donne la peine de chercher. D’accord on a adhéré à trois associations et quatre clubs de sport, mais dans le fond on ne se bouge pas trop et à ce train-là, forcément, quand on ne consent pas un minimum d’efforts… Comment en est-on arrivée à cette conclusion ? Parce que Sylvie a enchaîné sur : « Mais tu sors un peu ? »

Le système de survie : « Non, jamais. Mais tu le dis toi-même, ça vous tombe dessus quand on ne s’y attend pas. Et franchement, dans mon canapé, je ne m’y attends pas. » Inutile de chercher à argumenter. De toute façon, quoi que vous disiez, ce couple n’en pensera pas moins.

  • Le couple prosélyte

Manifestement, ils pensent que nous sommes célibataire pour préserver notre confort quotidien, en ermite psychorigide qui veille jalousement sur l’alignement de sa pile de tee-shirts. Ils passent donc les trois quarts de leurs discussions à nous vanter les mérites de la vie à deux : petits déjeuners au lit, balades, soutien mutuel, déjeuners en tête à tête au bistrot du coin, discussions du soir attablés devant un repas amoureusement cuisiné (et on s’étonne que les gens grossissent en couple). On apprécie leur compagnie, c’est juste qu’après on a envie de se jeter par la fenêtre.

Le système de survie : inutile de prosélyter en retour, les bienfaits du célibatat comparés à l’enchaînement de la vie de couple n’ont jamais convaincu personne. On rappelle simplement qu’au départ, avec Adam et Ève, c’était facile, on avait un nombre pair et des options réduites. Aujourd’hui, Adam est très occupé avec sa femme et ses enfants, ou il n’a pas trop envie de s’engager, ou il n’aime pas les pommes, ou il a des oreilles de travers et ça ne nous revient pas. Ou peut-être qu’il ne nous a pas encore croisée. Et en attendant, on veut bien parler d’autre chose.

  • Le couple à histoires

Eux ne désirent ni votre bonheur ni votre malheur, ce qu’ils veulent, c’est votre avis. Ils envisagent chaque réunion comme un réservoir de témoins potentiels et entament toute discussion de couple par « David, je ne vois pas pourquoi tu critiques cette pièce, tu t’es endormi. Comme à chaque fois qu’on fait quelque chose qui m’intéresse ». L’assistance redouble d’efforts pour changer de conversation, mais rien n’y fera. Vus séparément, c’est pire : ils décortiquent leur relation de ses débuts à aujourd’hui avec espoir d’assentiment immédiat de notre part. En plus, comme on est célibataire, forcément on s’ennuie, et forcément ils peuvent venir nous distraire quand ils veulent.

Le système de survie : il nous arrive de donner un quart de poil d’avis. Grossière erreur : non seulement, ça les relance, mais en plus ils se répètent tout entre eux et ils nous le reprochent par la suite. Seule solution : ne jamais prendre parti et toujours les voir en groupe.

  • Le couple valeur refuge

Ça commence avec une annonce à la supérette : « Cherche jeune couple dynamique pour devenir gérant d’une de nos épiceries. » Bon, ça tombe bien, on a un autre métier, mais une voie de reconversion professionnelle vient de se fermer. Ensuite, on reçoit des nouvelles du Trésor public : « Bonjour mademoiselle, comme vous êtes très malheureuse en amour, on a décidé d’appliquer le principe de la double peine et vous paierez trois fois plus d’impôts, ça vous apprendra à ne pas repeupler la nation. »

Le système de survie : à part organiser son insolvabilité et entamer une révolution, on peut se réjouir des menues évolutions de la société en faveur du célibat : séries télé rien que pour nous, progression de la colocation, sites de rencontres sur le Net, chips en paquets individuels… Et bientôt, qui sait, le tarif réduit pour ceux qui voyagent à un.

Il existe un autre type de couple : le couple sympa. Certes, il s’inquiète de notre sort, mais sans nous accueillir d’un : « Alors, tu as quelqu’un en ce moment ? », qui exigerait une réponse publique. On peut les fréquenter séparément parce qu’ils ont chacun leurs activités, ou ensemble parce que ça ne change rien. Ils ont des amis en couple, des amis célibataires. Bref, ce sont des copains. Contre eux, inutile de se défendre, ils n’attaquent pas. C’est chez eux qu’un copain, entendant le sujet de cet article, répondait : « Faut faire comme nous, vivre entre célibataires ! », et son voisin d’acquiescer : « Exactement. Après, on se met deux par deux, et l’affaire est réglée. »